
L'histoire
Comme le suggère le titre, c'est une histoire d'amour passionnée, mais interdite qui nous est contée dans ce roman. Elle se déroule en Arabie-Saoudite, dans la ville de Djeddah où Nasser, un garçon sensible d'origine érythréenne, a grandi loin de sa mère et dans un monde d'hommes. Il y a connu la violence sous toutes ses formes : des abus sexuels dans un monde où la mixité est interdite jusqu'au mariage aux restrictions des libertés les plus fondamentales. Nasser souffre en silence, résiste autant qu'il peut en rêvant à celle qui sera sa bien-aimée. Jusqu'au jour où, en pleine rue, il reçoit un billet jeté par une ombre noire...
Mes impressions
J'ai été emportée par le destin de Nasser et de la jeune fille mystérieuse, baptisée Fiore par son amant. Rythmée par leurs lettres enflammées (qu'il faut cacher à tout prix, mais transmettre malgré les risques), leurs fiévreux "habibi" et "habibati" (mon amour), leur histoire est tout simplement magique car elle semble prendre racine hors du temps et de l'espace, hors des contingences culturelles qui voudraient l'avilir. Cet amour est pur, azuréen, lumineux car il est don de soi à l'autre, au-delà même de la matérialité du corps. Et en même temps, il s'incarne dans les petites Chaussures Roses d'abord, puis dans la sensualité des corps qui s'étreignent.
Même si elle est "haram" (interdite par le loi islamique), cette passion est rendue possible par l'audace des deux amants qui osent mettre leur honneur et leur vie en péril pour pouvoir se contempler, remplacer l'image imaginaire par l'image réelle, masquée pas l'abaya de la jeune femme. Ils acceptent de se mettre en danger - le châtiment serait terrible pour l'un comme pour l'autre, ils le savent - pour pouvoir enfin se retrouver et s'aimer dans la clandestinité. C'est une femme intelligente, libre et sensuelle qui s'éveille sous le regard de Nasser, une fois le voile à terre. Et c'est un immense hommage qui est rendu aux femmes opprimées à travers les choix et la destinée de Fiore.
Fiore a-t-elle un avenir auprès de Nasser ? Je vous laisse le découvrir ...
Florilège
Voici l'une des plus belles lettres écrites par Nasser :
" Fiore,
J'espère que tu ne m'en voudras pas de me montrer aussi imprudent, mais aujourd'hui, j'ai décidé de t'avouer mon désir. Le moment te semblera peut-être mal choisi et la franchise de mes propos pourrait te choquer, toi dont l'amour est si pur. Mais je me dois d'être sincère.
Je pense sans cesse à toi, quand je marche dans la rue, quand j'attends l'imam devant chez lui, à la mosquée ou au lycée.
Parfois, mon esprit m'emporte au beau milieu du désert. Tu m'attends et je cours vers toi. Au début, tu portes ton voile. Mais je m'approche et je m'aperçois que ce noir est celui de ta peau. Tu es seule sous le soleil brûlant. Telle une plante du désert, tu n'as besoin de rien pour survivre. Les pieds plantés dans le sable comme des racines chargées d'un millénaire d'histoire, tu te dresses vers le ciel, semblable à une reine abyssinienne.
Enfin je parviens à tes côtés, hors d'haleine, comme si je venais de parcourir la terre pour trouver la femme dont parlent les légendes, l'amante que tous les hommes attendent et que toutes les femmes redoutent depuis des milliers d'années. Le mythe que les hommes se transmettent de génération en génération, le corps tremblant de désir.
Ta magie illumine le ciel d'un océan d'étoiles et transforme le désert en un lit de fleurs sur lequel nos corps se rencontrent pour la première fois. Je t'embrasse et tu m'avoues : "Malgré ce que racontent les légendes, je découvre moi aussi le pays des amants : je suis seule depuis toujours, car je t'attendais."
Et je te réponds : "Nous aurons toute la vie pour apprendre comment faire l'amour, et cela commence maintenant, habibati." (page 177-178)
" Comment la vie peut-elle soudain devenir si belle ? Fiore marchait devant moi, laissant un sillage rose sur la corniche de Djeddah. "Lorsqu'une femme marche, m'avait dit le poète du camp de réfugiés, toute la terre marche avec elle." Je comprenais enfin. On aurait dit qu'elle entraînait la terre avec elle, me laissant flotter là, en apesanteur." (page 211)
" On m'a forcée à rejoindre ce monde nouveau où je devais me vêtir de noir, comme pour porter le deuil de mon existence" (page 247)
" Nasser, y a-t-il vraiment quelque chose en moi qui pousse les hommes vers le mal ? Pourquoi devrais-je m'inquiéter de l'enfer ou du paradis qui les attend, pourquoi serait-ce à moi de payer le prix de leur faiblesse ? Je ne suis qu'une femme qui voudrait mener sa vie librement." (page 247)
Bonne lecture !