C’est dans le cadre du challenge "j’aime les classiques" de Marie L. (un grand merci !! ) que j’ai lu cette pièce de théâtre publiée en 1950 et dont la première représentation date de 1949. Elle était dans ma PAL depuis très longtemps et cette excellente idée de challenge lui a fait gagner la première place, sans regret ! L’œuvre m’a accompagnée aux pieds des montagnes ariégeoises, pour mon plus grand plaisir.
L’histoire
Pour résumer cette pièce en cinq actes, autant se référer directement à son auteur : « en février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes appartenant au parti socialiste révolutionnaire, organisait un attentat à la bombe contre le grand duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l’ont précédé et suivi font le sujet des Justes. » Albert Camus.
Mes impressions
J'ai vraiment apprécié cette pièce qui donne tellement à réfléchir ! J'ai aimé suivre les destinées tragiques de personnages, unis comme des frères par le même engagement envers la Russie. Dévoués corps et âme, ils tentent de libérer leur peuple, opprimé par le despotisme, ce qui les rend ô combien attachants malgré leurs actes terribles.
L''oeuvre est intéressante à plus d'un titre mais, en particulier, parce qu'elle met en avant leurs contradictions : en effet, si leurs motivations sont celles du sacrifice de leur individualité au nom de l’Organisation et pour une certaine idée de la liberté, les limites de chacun ne sont pas les mêmes. Par exemple, la cause de la révolution vaut-elle que des enfants – le neveu et la nièce du grand duc, en l’occurrence – soient assassinés sous les bombes ? Les positions divergent : en particulier, celle de Dora et de Yanek, dit aussi « le Poète » et celle de Stepan, endurci par trois années au bagne, d’où il s’est échappé. C’est d’ailleurs souvent dans les échanges virulents entre les deux hommes que le débat philosophique prend racine.
D’autres personnages gravitent autour de ces trois protagonistes : Annenkov, le responsable ; Voinov qui évoque la difficulté de tuer de sang froid et renonce à lancer la bombe ; la grande duchesse et Skouratov, personnages qui joueront un rôle dans le renforcement de la figure tragiquement « héroïque » de Yanek.
Et puis il y a l’amour entre Dora et Yanek, tragique lui aussi car il ne peut trouver sa pleine expression que dans l’action révolutionnaire. L’amour est-il possible au milieu de tant de violence ? L’amour pour le peuple, oui car il est la raison d’être de l’Organisation et la cause juste pour laquelle chacun consent au sacrifice suprême – et ce, malgré les doutes de Dora. Mais l’amour entre un homme et une femme suppose de la tendresse, cette capacité à « se laisser aller enfin » (Dora, page 85), de la légèreté et de l’insouciance. Or, comme le dit Dora, « il faut du temps pour aimer. Nous avons à peine le temps pour la justice. » (p.90) Pourtant, ces deux êtres s’aiment, « du même amour un peu fixe, dans la justice et les prisons ». Mais, simplement, « il y a une chaleur qui n’est pas pour [eux] » (p. 88)
Le dénouement, que je ne révèlerai pas ici, donne la mesure de la force de l’engagement qui anime Yanek puis Dora.
Florilège
« Stepan - La liberté est un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi sur la terre » (p. 17)
« Voinov - J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre » (p. 25)
« Stepan – L’orgueil est un luxe réservé à ceux qui ont des calèches
Kaliayev (Yanek) – Non. Il est la dernière richesse du pauvre » (p. 65)
« Skouratov – Une idée peut tuer un grand duc, mais elle arrive difficilement à tuer des enfants. […] Alors une question se pose : si l’idée n’arrive pas à tuer les enfants, mérite-t-elle qu’on tue un grand duc ? » (p.113)
« La grande duchesse – Beaucoup de choses meurent avec un homme. » (p. 115)
« Kaliayev, avec désespoir – Il y a quelque chose de plus abject encore que d’être un criminel, c’est de forcer au crime celui qui n’est pas fait pour lui. Regardez-moi. Je vous jure que je n’étais pas fait pour tuer. » (p. 121)