Ce dimanche poétique est l'occasion de poursuivre la présentation de l'oeuvre de Christian Bobin. Voici un florilège de citations dans lesquelles l'auteur évoque sa vérité. Touchante et troublante vérité que chacun pourra s'approprier ...
À quoi reconnaît-on ce que l'on aime. À cet accès soudain de calme, à ce coup porté au coeur et à l'hémorragie qui s'ensuit - une hémorragie de silence dans la parole. Ce que l'on aime n'a pas de nom. Cela s'approche de nous et pose sa main sur notre épaule avant que nous ayons trouvé un mot pour l'arrêter, pour le nommer, pour l'arrêter en le nommant. (Une petite robe de fête)
Magritte, L'Oiseau du ciel, 1965
Aimer quelqu'un, c'est le dépouiller de son âme, et c'est lui apprendre ainsi - dans ce rapt - combien son âme est grande, inépuisable et claire. Nous souffrons tous de cela : de ne pas être assez volés. Nous souffrons des forces qui sont en nous et que personne ne sait piller, pour nous les faire découvrir. (Lettres d'or)
Comment sortir de soi ? Parfois cette chose arrive, qui fait que nous ne sommes plus enfermés : un amour sans mesure. Un silence sans contraire. La contemplation d'un visage infini, fait de ciel et de terre. (Lettres d'or)
Le monde n'est si meurtrier que parce qu'il est aux mains de gens qui ont commencé par se tuer eux-mêmes, par étrangler en eux toute confiance instinctive, toute liberté donnée de soi à soi. Je suis toujours étonné de voir le peu de liberté que chacun s'autorise, cette manière de coller sa respiration à la vitre des conventions, et la buée que cela donne, l'empêchement de vivre, d'aimer. (La plus que vive)
Il nous faut naître deux fois pour vivre un peu, ne serait-ce qu'un peu. Il nous faut naître par la chair et ensuite par l'âme. Les deux naissances sont comme un arrachement. La première jette le corps dans le monde, la seconde balance l'âme jusqu'au ciel. (La plus que vive)
Est beau tout ce qui s'éloigne de nous après nous avoir frôlés. Est beau le déséquilibre profond - le manque d'aplomb et de voix - que cause en nous ce léger heurt d'une aile blanche. La beauté est l'ensemble de ces choses qui nous traversent et nous ignorent, aggravant soudain la légèreté de vivre. (Le huitième jour de la semaine)
Il faut [...] vouloir ce que l'on aime, et il faut le vouloir d'une volonté profonde, pure de toute impatience, comme obscure à elle-même. (Le huitième jour de la semaine)
Les maisons sont comme les gens, elles ont leur âge, leurs fatigues, leurs folies. Ou plutôt non : ce sont les gens qui sont comme des maisons, avec leur cave, leur grenier, leurs murs et, parfois, de si claires fenêtres donnant sur de si beaux jardins.(Isabelle Bruges)
Ceux qui savent nous aimer nous accompagnent jusqu'au seuil de notre solitude puis restent là, sans faire un pas de plus. Ceux qui prétendent aller plus loin dans notre compagnie restent en fait bien plus en arrière. (L'éloignement du monde)
Légèreté de l'oiseau qui n'a pas besoin pour chanter de posséder la forêt, pas même un seul arbre. (L'éloignement du monde)
L'amour ne vient que par grâce et sans tenir aucun compte de ce que nous sommes.
(L'éloignement du monde)
Ce qui ne peut danser au bord des lèvres - s'en va hurler au fond de l'âme. (L'autre visage)
Ceux que j'aime, je ne leur demande que d'être libres de moi et ne jamais me rendre compte de ce qu'ils font ou de ce qu'ils ne font pas, et bien sûr, de ne jamais exiger une telle chose de moi. L'amour ne va qu'avec la liberté. La liberté ne va qu'avec l'amour.
(L'épuisement)
Dés que l'on est parfaitement seul, une autre solitude s'éveille en face, le lien se fait. (Autoportrait au radiateur)
La vérité est ce qui brûle. La vérité est moins dans la parole que dans les yeux, les mains et le silence. La vérité, ce sont des yeux et des mains qui brûlent en silence.
(La présence pure)
L'amour est le miracle d'être un jour entendu jusque dans nos silences, et d'entendre en retour avec la même délicatesse : la vie à l'état pur, aussi fine que l'air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse.
(Ressusciter)
Intégral Christian Bobin : interview de 53 minutes dans laquelle l'écrivain analyse son rapport à la littérature et à la vie (émission du 27 janvier 2007 / You tube)