Ce 3e rendez-vous des Lundis philo est l’occasion de présenter deux ouvrages d’Alexandre Jollien, un jeune philosophe que l’on a pu écouter à la Grande Librairie le 11 octobre 2012 (de mémoire), à l’occasion de la parution de son nouvel essai dont je vous laisse savourer le titre : Petit traité de l’abandon. Ce soir, ce n’est pourtant pas celui-ci que je vais présenter dans le détail car je viens tout juste de le recevoir.
Ce week-end, j’ai lu Eloge de la faiblesse, son tout premier livre, paru aux éditions du Cerf en 1999, puis chez Marabout en 2011. Depuis ce premier récit-témoignage dans lequel l’auteur dialogue avec Socrate, Alexandre Jollien a écrit d’autres essais, largement médiatisés dont, en 2006, La Construction de soi. Un usage de la philosophie, que je lirai et présenterai très prochainement.
Mais qui est Alexandre Jollien ? Victime d’athétose (asphyxie due au cordon ombilical enroulé autour du cou) au moment de sa naissance en 1975, ce jeune Suisse que l’on peut qualifier de « philosophe joyeux » (une référence au philosophe catalan Raymond Lulle), souffre d’un handicap neuromusculaire, qui va bouleverser son existence.
Dans Eloge de la faiblesse, il raconte les dix-sept années passées dans un institut pour personnes souffrant d’une IMC (Infirmité Motrice Cérébrale), la douleur de quitter ses parents – sa mère surtout lorsqu’il était enfant - et son frère chaque dimanche, la solitude malgré l’extraordinaire fraternité et l’amitié profonde qui l’unit pour la vie à ses camarades pensionnaires, les difficultés avec les éducateurs.
Les anecdotes dont il se souvient lui permettent de développer sa réflexion et d’analyser comment les épreuves ont forgé sa personnalité.
Comme je l’ai dit, il s’entretient avec Socrate qui, dans l’Antiquité, se mêlait à la foule de l’Agora à Athènes, pour dispenser son enseignement. Il s'opposait aux sophistes, professeurs de rhétorique contre une forte rétribution alors que Socrate questionnait gratuitement : il estimait qu’il fallait accoucher les esprits, que chacun avait les réponses et les ressources à l’intérieur de lui-même, et donc que son rôle était de faciliter l’éclosion de ce savoir, de le mettre en lumière. C’est la maïeutique et le fameux appel socratique « Connais-toi toi-même » en est l’expression philosophique la plus populaire.
Mais revenons à Alexandre Jollien dont Socrate est le maître depuis que, dans une librairie, il a rencontré « Dame philosophie », à travers l’un de ses écrits. C’est ensuite, avec toute la volonté et la force intérieure qui l’animent, qu'Alexandre Jollien s’est battu pour suivre un cursus universitaire et qu'il a obtenu sa licence de philosophie.
Son parcours remarquable, mais aussi sa lucidité sur le handicap et sur la vie en général nous invite d’abord à changer notre propre regard, à abandonner nos préjugés. Par son expérience, il nous montre comment on peut « tirer profit même de la situation la plus destructrice ». Dans son essai, il s’interroge sur la normalité, il remet en question ce que la société considère comme normal et anormal. Il apporte ses réponses aux questions Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce que la sagesse ? L’amitié ? Quel est le profil d’un bon éducateur ?
Citant Aristote, il nous invite à nous étonner de ce qui nous entoure pour philosopher et donc dépasser les clichés. Comme Pascal, il nous conseille de gérer l’harmonie entre le corps et l’esprit, pour être un être accompli.
Voici les deux citations qui m’ont le plus marquée :
« Il faut toujours se dépasser, sans cesse aller au-delà de soi-même, s’engendrer, parfaire ce qui est déjà réalisé en soi. Cette intuition revêtit très tôt une importance radicale. Le bonheur, s’il existe, s’oppose ainsi diamétralement à un confort quiet, tranquille, tiède. Il réclame une activité intense, une lutte sempiternelle ; il s’apparente à une plénitude désintéressée acquise dans un combat permanent. »
Et Socrate de répondre : « Voici précisément la tâche du philosophe. »
« Je dis simplement qu’il faut tout mettre en œuvre pour parvenir à tirer profit, même de la situation la plus destructrice. J’insiste sur les épreuves parce que celles-ci restent inévitables. Rien ne sert de discourir, d’épiloguer des heures durant sur la souffrance. Il faut trouver des moyens pour l’éliminer et, si on ne le peut pas, l’accepter, lui donner un sens. »
Alexandre Jollien souhaitait que son essai puisse servir à « entrer en soi-même, découvrir ses aspirations profondes, sa quête véritable. » Il réussit en tous cas le pari de nous faire « regarder autrement », ce qui est l’objet même de la philosophie.
Bonne lecture et bon voyage !