Le Livre de poche (282 pages)
Editions Arléa, 2007
« Une incroyable émotion emporte le lecteur à chaque page. Il est des romans vrais qui vous restent en tête longtemps. » Cette critique très élogieuse, que l’on peut lire sur la quatrième de couverture, est de Xavier Houssin (Le Monde des livres), mais elle dit exactement ce que j’ai ressenti en lisant cette bouleversante histoire, construite par petites touches successives, au fil de la narration.
Fanny est maniaco-dépressive. Dans le Paris de l’après-guerre, elle vit seule avec sa fille Marion, qu’elle surnomme affectueusement « Funny face ». Fanny, Funny, la relation mère-fille est fusionnelle. Marion est née en 1945, d’un père allemand, qu’elle n’a pas connu et que sa mère a passionnément aimé, contre l’avis de tous… Mais depuis la terreur de « la petite route de campagne », en 1947, leur quotidien est rythmé par les rechutes de la maladie, des crises très angoissantes à l’origine de l’inévitable délitement de leur relation, car il faut bien se résoudre à haïr pour pouvoir grandir…
La Femme de l’Allemand est un de ces romans dont la lecture vous laisse un peu sonné, comme au sortir d’un sommeil léger : pendant quelques secondes, après avoir refermé le livre, on ne sait plus très bien où le rêve vous a déposé. Il fut bien difficile de me détacher de cette superposition d’images, d’idées subconscientes, que le roman avait fait naître en moi : des sentiments confus, enfouis de longue date, réminiscences douloureuses, mais sans doute libératrices. Un cadeau en somme, comme la littérature peut vous en faire, avec l’élégance de l’inattendu.
J’ai donc mis du temps à revenir à la réalité, à sortir du livre, à me détacher du destin de Marion, que Marie Sizun a su rendre si attachante, à deux ans comme à dix-sept, si vraie dans sa quête d’identité bien légitime au vu des circonstances de sa naissance, si touchante lorsque la culpabilité prend son innocence – « c’est toi qui as envoyé la femme de l’Allemand à la maison des fous » (108) – si lucide enfin face à la vérité de ses origines.
La Femme de l’Allemand est un roman sur le regard et le choix de la 2e personne, le « tu », donne un ton intimiste au récit. Finalement, ce que le narrateur raconte à Marion, c’est le regard qu’elle portait sur sa mère, et l’évolution de ce regard aussi - « ce regard de petit juge », que confère une maturité acquise trop tôt. Plus tard, au son d’un chant de révolte récurrent (que je vous laisse découvrir), on tremble pour Marion tant les yeux de Fanny se font menaçants…
Le narrateur évoque également la fascination que Fanny lui inspirait, par exemple, pendant son sommeil et « la peur de cette bouche ouverte sur l’ombre. » (58) Ce faisant, il nous convie, nous lecteurs, à imaginer la détresse de l’enfant, son angoisse face à cette femme fragilisée par la maladie, par les rechutes et les électrochocs, prise devant sa fille, qui la guette et l’observe sans cesse, d’une « tristesse sans larmes et sans paroles. »
Marie Sizun a l’art de mettre en valeur un détail dans les portraits qu’elle nous offre de cette mère malade : « quelquefois, et c’est pire, elle pleure sans bruit, des larmes qui coulent toutes seules sur ses joues mortes. » (97) Bouffée d’émotion…
Au fil du texte, le lecteur découvre des bribes de l’histoire de Marion, qu’il a pour tâche de reconstituer avec elle, comme on ferait un puzzle après avoir étalé devant soi un stock d’images. Ces images, ce sont celles de Marion, celles qui naissent dans son esprit vide de souvenirs, mais avide d’informations nouvelles, sur son père, sur le passé de sa mère. Car, avec le reste de la famille, les relations sont compliquées et certaines « images » du passé interdites…
Mais comment se construire sans connaître une partie de ses origines ? Comment s’épanouir sans conscience claire de son identité avec comme unique référent quotidien, un « double » de soi-même, que la maladie dédouble fréquemment, vous laissant « confondue d’amour et d’effroi » ?
Alors Marion, ne peut-il rester que la solution de te fondre dans l’anonymat du lycée pour cacher « ce que tu es » au lieu d’oser revendiquer un jour « qui tu es » ? (122)
Marie Sizun (Babelio)
Un grand merci à Marie Sizun pour ces instants littéraires de pure émotion. D’autres chroniques de ses romans viendront très bientôt, en attendant la rentrée littéraire !
Ce roman magnifique a été récompensé du Grand Prix des lectrices Elle roman 2008.
Je vous invite à lire les avis tout aussi élogieux de Laure et de Mazel.
Un léger déplacement est également présenté sur mon blog. Vous trouverez dans cet article une biographie de Marie Sizun. (clic)
Belle lecture !
Heide