Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Cette semaine, un soir, j'ai eu plaisir à me replonger dans un ouvrage critique très court mais passionnant sur le style de Marguerite Duras : Marguerite Duras ou l'émergence du chant est, en fait, le texte d'une conférence donnée par Alain Vircondelet, en janvier 1993, aux "Midis de la Poésie", à Bruxelles. Maître de conférences et écrivain lui-même, ami de Marguerite Duras dés 1968, Alain Vircondelet est reconnu comme l'un des meilleurs spécialistes de son oeuvre. Il est d'ailleurs aujourd'hui l'un des présidents d'honneur de l'Association Marguerite Duras.
Son discours est un vibrant hommage à la beauté poétique, quasi mystique, de l'écriture de Marguerite Duras, en particulier dans les écrits de la maturité, bien après Un Barrage contre le Pacifique dont la facture est proche du roman américain. Alain Vircondelet explique, avec chaleur et simplicité, ce qui constitue l'essence même du travail d'écrivain pour Marguerite Duras, le sens profond de sa quête, qui fut d'ailleurs souvent oublié, gommé par la virulence de ses prises de position. Le sujet du livre pour Marguerite Duras, ce n'est pas l'analyse psychologique, mais l'écriture, la recherche d'une "syntaxe musicale" (MD), qui permet d'approcher "l'épaisseur des choses", "l'indicible des choses et des êtres".
Cette "parole qui est celle de la poésie, qui ne mène à rien d'autre qu'à elle-même", c'est ce que j'aime par dessus tout dans son oeuvre. Cette sorte de ressassement du langage, des mots reformulés "jusqu'à l'épuisement du sens", Alain Vircondelet en parle avec passion. Alors, son discours vaut d'être lu pour lui-même d'abord et parce qu'il constitue une excellente introduction au chant, à la voix si particulière de l'écrivaine.
Voici ce qu'on peut lire sur la quatrième de couverture :
"Il m'est apparu qu'elle était semblable à Marcel Proust comme à ces conteurs d'Extrême-Orient, d'Afrique noire ou du Maghreb qui parlent en légendes et en fables, cherchant à se relier aux forces sacrées, premières, telluriques, rejoignant ainsi l'obscure route des Mythes. Je savais qu'à force de se dépouiller de toute parole politique, libre en un mot, elle avait retrouvé la simplicité du premier verbe, la naïveté des premiers jours, la splendeur du premier chant. Qu'elle avait ainsi rejoint le lieu immémorial des poètes".
Pour finir un extrait de l'Amant de la Chine du Nord, cité dans l'ouvrage entre autres magnifiques passages :
C'est un livre.
C'est un film.
C'est la nuit.
La voix qui parle ici est celle, écrite, du livre.
Voix aveugle. Sans visage.
Très jeune.
Silencieuse.
C'est une rue étroite. Eclairée par des becs de gaz.
Cailloutée, on dirait. Ancienne.
Bordée d'arbres géants.
Ancienne.
De chaque côté de cette rue il y a des villas blanches à terrasses.
Entourée de grilles et de parcs.
C'est un poste de brousse au sud de l'Indochine française.
C'est en 1930.
C'est le quartier français.
C'est une rue du quartier français.
L'odeur de la nuit est celle du jasmin.
Mêlée à celle, fade et douce, du fleuve.
Devant nous, quelqu'un marche. Ce n'est pas celle qui parle. C'est une très jeune fille, ou une enfant peut-être. Ça a l'air de ça. Sa démarche est souple. Elle est pieds nus. Mince. Peut-être maigre. Les jambes... Oui... c'est ça... Une enfant. Déjà grande.
Elle marche dans la direction du fleuve.
Au bout de la rue, cette lumière jaune des lampes tempête, cette joie, ces appels, ces chants, ces rires, c'est en effet le fleuve. Le Mékong.
C'est un village de jonques.
C'est le commencement du delta.
De la fin du fleuve.
Malheureusement, il semble que cet ouvrage de Vircondelet ne soit plus édité (à moins de le trouver d'occasion, ce qui fut mon cas.)
Références complètes : Alain Vircondelet, Marguerite Duras et l'Emergence du chant, Conférences des "Midis de la Poésie", collection "Paroles d'Aube", La Renaissance du livre, septembre 2000.
Bonne lecture des oeuvres de Marguerite Duras !