Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Quelques mots sur l'auteur tout d'abord : Atiq Rahimi est né en Afghanistan, à Kaboul, en 1962. Il a fait ses études en France et vit aujourd'hui à Paris. Réalisateur de films documentaires, il a obtenu deux récompenses prestigieuses : le prix "Regard vers l'avenir" (Festival de Cannes), pour l'adaptation de son roman Terre et cendres et, en 2008, le prix Goncourt pour Syngué sabour, Pierre de patience. Ce récit était dans ma PAL depuis sa sortie en poche (éditions Folio) et le challenge "Une année, des titres" proposé par Sophie m'a permis de découvrir un petit bijou littéraire, presque un chef d'oeuvre !
L'histoire
Une femme, "quelque part en Afghanistan ou ailleurs", veille un homme mourant, son mari, frappé d'une balle dans la nuque "dans une bagarre minable avec un type - de son propre camp d'ailleurs [...] Juste pour une insulte." (page 28)
C'est la guerre. On entend les bombes au loin. La femme, effrayée à l'idée de se retrouver seule avec deux petites filles à élever, compte les souffles de l'homme en égrénant son chapelet. Petit à petit, sa langue se délie, libérant du même coup son corps, sa sexualité... et ses secrets ...
Mes impressions
C'est une lecture qui m'a laissée un peu sonnée, et je suis encore sous le choc de la chute vertigineuse du dénouement...
Atiq Rahimi réussit un tour de force : suggérer le poids des heures, lentes, oppressantes qui défilent au rythme des souffles d'un mourant, au rythme d'un chapelet qu'on égrène ... Oui, le temps se compte en souffles pendant que la femme se lamente sur la responsabilité qui lui incombe dans la guérison de son époux : "c'est tellement facile de dire qu'il faut réciter quatre-vingt-dix-neuf fois par jour l'un des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu ... Et cela pendant quatre-vingt-dix-neuf jours !" (page 23) C'est donc l'oppression des femmes que cette écriture du vide symbolise. Une écriture du vide qui emplit d'émotion l'espace intime du lecteur.
Le roman est, en fait, un long monologue dramatique, où la peur dispute sa place à la démence. La chambre du mourant, devenu lui-même "syngué sabour, la pierre de patience", figure une scène de théâtre avec son lourd rideau décoré d'oiseaux migrateurs et le lecteur devient spectateur, tour à tour attentif aux indications scéniques du narrateur et aux événements qui se passent "en coulisses", ou bien allongé lui-même dans la petite chambre rectangulaire et étouffante, témoin paralysé des allers et retours de la femme, de la répétition des tâches. Si l'auteur devait adapter son film pour le cinéma, il y aurait sans doute quelques gros plans sur de petites bêtes peu sympathiques - mouche, fourmis, araignée, guêpe - intruses oppressantes qui semblent suspendre le temps "dans cette inertie poussiéreuse"(page 46) ...
Ce que je décris là ne dévoile en rien l'intrigue car l'intensité dramatique va considérablement s'accroître, au fil des pages, avec la violence des mots et la libération des actes de la femme. La force du roman tient aussi à la prise de conscience que ces femmes, dont le corps est caché, enveloppé comme pour "voiler" ce qui est jugé "impur", ont aussi du désir et qu'elles peuvent même l'exprimer avec des mots et des gestes très crus.
Un extrait
"Cette pierre que tu poses devant toi... devant laquelle tu te lamentes sur tous tes malheurs, toutes tes misères... à qui tu confies tout ce que tu as sur le coeur et que tu n'oses pas révéler aux autres... Tu lui parles, tu lui parles. Et la pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate. Elle tombe en miettes. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines... Comment appelle-t-on cette pierre ? [...]
Elle sursaute, "voilà le nom de cette pierre : syngué sabour, pierre de patience, la pierre magique !, s'accroupit auprès de l'homme. "Oui, toi, tu es ma syngué sabour !" [...]
Bonne lecture !