Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Marguerite Duras, Les Impudents, 1943
Folio, 246 pages
Marguerite Duras est entrée en littérature en 1943 avec Les Impudents. Les thèmes durassiens sont déjà bien présents dans ce premier roman : les souffrances générées par des relations familiales extrêmement violentes que cristallisent les angoisses maternelles, son amour quasi-exclusif pour le fils aîné « si pourri qu’il en est aussi léger qu’une branche de bois mort » (p. 220). Nous avons là, en substances, l’enfance et l’adolescence douloureuses de Marguerite Duras, qui n’aura jamais pu « trouver sa place dans la constellation maternelle » (Laure Adler, Marguerite Duras, p. 27).
L’histoire
Maud Grant, jeune fille secrète et tourmentée, très observatrice également, vit auprès de sa mère Mme Grant-Taneran, de son frère Jacques Grant et de son demi-frère Henri Taneran, sous le même toit que son beau-père M. Taneran, dont il sera très peu question dans l’histoire.
Au début du roman, Jacques vient de perdre son épouse Muriel et, à 40 ans, il est accablé de dettes. L’accumulation des traites Tavarès pousse la famille à fuir, pour échapper à l’obligation de les payer. Jacques, Henri, Maud et leur mère rejoignent la propriété d’Uderan, qui se trouve « dans le sud-ouest du Lot, dans la partie âpre et dépeuplée du Haut-Quercy, aux confins de la Dordogne et du Lot-et-Garonne. » (p. 45) Mais la demeure est inhabitable : ils logeront donc chez les Pécresse dont le fils Jean convoitera Maud alors qu’elle entretient une liaison secrète avec un dénommé Georges Durieux. L’histoire tourne autour du quotidien de la famille de Maud et des habitants du village, témoins des relations tumultueuses entre ces êtres liés par le sang, mais que tout désunit. Maud parviendra-t-elle à se libérer de l’emprise de sa mère, si injuste envers elle, de Jacques de plus en plus violent et que Mme Taneran défend systématiquement tant son amour pour lui est exclusif ? Et par quel compromis pourra-t-elle échapper à leur impudence, à leur cynisme ?
Quelques impressions personnelles
Les Impudents est dédié à Jacques D., le demi-frère que Marguerite Duras n’a pas connu et qui est né du premier mariage de son père, Henri Donnadieu.
Mais un autre Jacques domine l’intrigue du roman : Jacques Grant en est le personnage négatif central, outre Mme Grant-Taneran, la mère, autour de laquelle tous gravitent.
Maud est le personnage le plus attachant, le plus complexe aussi. Si elle souhaite qu’une chose arrive, elle n’éprouve aucun bonheur dans sa réalisation. Marguerite Duras a sans doute mis beaucoup d’elle-même dans le tempérament de Maud. Solitaire, exaltée, elle est la seule à dormir au domaine d’Uderan : pour rejoindre la demeure familiale, elle passe des heures à marcher dans la campagne, qui symbolise sans doute la transgression, l’infidélité au clan. Alors, elle se ressource au cœur de cette nature accueillante et bienveillante, avec laquelle elle se sent en harmonie et qui lui permet de laver sa culpabilité. Les errances de Maud sont, pour le lecteur, de purs délices car elles donnent lieu à de superbes passages où la psychologie du personnage semble se déployer dans la description de la campagne environnante.
On retrouve aussi la complexité du personnage de Maud dans sa liaison avec Georges, qu’elle désire et dont elle pense être amoureuse, mais qu’elle cesse d’aimer très vite, dés que la relation est acquise. Cependant, Georges lui permet de libérer ses sentiments et dés lors, elle ne s’interdit plus d’éprouver du mépris pour Jacques ni de la pitié pour sa mère. Pourtant, le couple qu’elle formera avec Georges montre, qu’au-delà des conventions sociales qui maintiennent bien des couples, « il n’y a pas d’amour heureux » chez Marguerite Duras.
Extrait
« Une lueur falote de lanterne tempête apparut à la hauteur du sentier qui reliait Uderan à la propriété des Pecresse. Si on la recherchait, elle aurait dix fois le temps de s’enfuir. L’idée que l’on s’inquiétait d’elle, l’émut un peu. Des larmes lui vinrent, qui traçaient sur ses joues de frais sillons. Ils n’étaient pas heureux eux non plus, là-bas. Personne ne l’avait jamais été chez elle. Ils vivaient dans le désordre et leurs passions donnaient aux événements les plus ordinaires un tour à part, tragique, et qui vous enlevait toujours davantage l’espoir de posséder jamais le bonheur.
Mais lorsqu’on vous avait trop fait souffrir, ensuite on vous recherchait et on vous ramenait de gré ou de force. Seul cet ultime remords prouvait qu’on tenait à vous d’une certaine façon et que, sans vous, quelqu’un eût manqué à la maison. Ces pensées la touchèrent d’abord, mais elle ne tarda pas à résister à son émotion.
Non, elle ne reviendrait pas. C’était bien inutile maintenant qu’elle avait parfaitement compris comment leur attachement se manifestait. Jacques prenait plaisir à vous humilier, puis il s’efforçait de vous rassurer lui-même, afin de ne pas perdre complètement ses victimes. Non, au grand jamais, elle ne reviendrait.
Mais n’avait-on pas appelé ? Le fantôme de sa mère la frôla, si tendre dans son souvenir, bon comme l’été qui reviendra et auquel on pense alors qu’on est encore en hiver. Elle ne bougea pas, mais ne put empêcher ses larmes de couler. »(pp.182-183)
Je vous invite à lire l’article très intéressant et fouillé que Denis de Bonheur de lire a publié le 30 décembre 2012, dans les temps ! Quant à moi, je démarre mon challenge avec un mois de retard et je vous donne rendez-vous le jeudi 28 février pour La Vie tranquille, le 2e roman de MD, dans l’ordre chronologique. N’hésitez pas à nous rejoindre pour cette lecture commune si vous le souhaitez et je vous rappelle l’existence de la communauté Marguerite Duras.
Je rattache également mon billet au challenge « Premier roman » chez Anne et au challenge « Un classique par mois » chez Stephie (cliquez sur les logos).
Belle lecture !
Heide