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Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!

Christian Bobin, L'Homme-joie

homme-joie.jpgChristian Bobin, L’Homme-joie, L’Iconoclaste, 2012

183 pages

 

bobin.jpg

 

    Christian Bobin est né en 1951 au Creusot, où il mène une vie solitaire encore aujourd’hui. Il puise son inspiration au cœur de la nature, au milieu des jardins et les fleurs sont omniprésentes dans son œuvre : les fleurs sauvages, celles qui ne sont pas commercialisées comme le chèvrefeuille par exemple, sont pour lui « une réponse à quelque chose du néant et des ténèbres » (Christian Bobin sur France culture).

 

     Difficile de classer ses écrits : les essais poétiques côtoient des romans emprunts de poésie eux aussi, toujours courts (moins de 200 pages), mais si denses. Quand on lit Christian Bobin, on a envie de relever de belles phrases à chaque page. L’émotion circule et nous enveloppe d’une chaleur douce et apaisante, qui nous accompagnera longtemps. Ce sont des livres qui rendent heureux tant la générosité de leur auteur est authentique et palpable : à travers la musicalité des mots, la justesse des images, il nous invite à nous émerveiller d’un brin d’herbe ou de la plasticité d’un arbre, à ouvrir notre cœur, à affuter notre regard. Lui-même a des « Yeux d’or » et l’art de la métaphore !

Hier, je lisais un texte de Bergson dans lequel le philosophe répondait à la question « Qu’est-ce qu’un artiste ? » avec ces mots : « C’est un homme qui voit mieux que les autres car il regarde la réalité nue et sans voiles. » C’est ce que fait Christian Bobin, il observe la réalité nue et il l’habille de poésie. Il le fait avec une joie simple et communicative, d’où ce titre lumineux, L’Homme-joie. La vie ne l’a pas épargné et pourtant, il écrit :  

 

« Il faut que le noir s’accentue pour que la première étoile apparaisse. » (155)

 

     L’Homme-joie est donc un recueil composé de quinze récits brefs, pensées-rêveries et souvenirs ou réflexions sur des sujets plus graves comme la solitude des anciens regroupés dans les maisons de retraite et la maladie d’Alzheimer qui atteignit son père. Dans ces textes poétiques, il est aussi question de personnalités – le pianiste Glenn Gould, Pascal, le peintre Soulages ou la petite gitane Maria -, de lieux, de situations en apparence anodines, de moments précis inscrits dans le temps et immédiatement jetés hors de lui par l’attitude contemplative du poète.


« La mort, l’amour, la beauté, quand ils surviennent par grâce, par chance, ce n’est jamais dans le temps que cela se passe. Il n’arrive jamais rien dans le temps – que du temps. » (42)


Avec l’écriture et la poésie, Christian Bobin nous mène ailleurs : pour lui, « la poésie défie la mort, le terme de ce qui nous est donné à vivre. » Il évoque souvent son rapport à la lecture et à l’écriture.

 

Entre chacun de ces quinze récits, le lecteur découvre une citation manuscrite comme un vers isolé, une pensée offerte, ouverte sur la vie. Certaines ne sont pas dénuées d’humour :  

 

« Les âmes sont des compas dont la pointe tremble à l’instant de se planter. Seuls les saints en tracent le cercle parfait. »


Et au centre du livre se trouve « Un carnet bleu », un joyau sous la forme d’une lettre d’amour manuscrite, adressée en 1980 à « la plus que vive », celle qu’il aima jadis et qui n’est plus – j’écrirai bientôt un article sur La Plus que vive, titre d’une longue lettre qu’il écrivit à sa compagne, au lendemain de sa mort brutale.

 

     Le livre se déguste dans le silence, un silence à réhabiliter. J’ai lu le recueil deux fois, à deux semaines d’intervalle environ : à la première lecture, la beauté de la langue accapare l’esprit et se suffit à elle-même. La deuxième lecture permet un plein accès au sens. Je crois que, comme pour tous les textes de Christian Bobin que j’ai pu lire,  chaque nouvelle lecture de L’Homme-joie mettra en lumière quelque élément resté dans l’ombre jusqu’alors. C’est toute la magie de l’écriture de cet auteur, pourtant décrié parfois : il répond d’ailleurs dans ce livre à l’accusation de mièvrerie qu'on a pu lui porter. Pour ma part, je ne vois dans le ton naïf de certaines de ses phrases qu’une tendresse infinie à l’égard de la vie, comparable à la joyeuse spontanéité des enfants.

 

Extrait :


« Une paix massive arrive comme devant un calvaire d’or. La vision de Soulages est plus puissante que la mort, elle l’arrête comme jadis on arrêtait un vampire avec une croix. Ce noir charpente mon cerveau, y tend ses poutres maîtresses dont le deuil n’est qu’apparent : le noir est l’éclair d’un sabre de cérémonie, une décapitation qui ouvre le bal des lumières. Ces œuvres appellent le grand air, leurs falaises réclament un vent furieux. Je ne suis pas devant l’œuvre d’un contemporain mais devant le plus archaïque des peintres. Ses peintures sont des maisons zen, les trois quarts d’une maison zen dont le spectateur fait le quart restant. Un gardien noir en costume noir arpente la salle, mains dans le dos, martyr d’un temps sans aiguilles. Nous sommes seuls au milieu des bêtes divines préhistoriques dont le cuir goudronné est suant de lumière. » (33)

 

Christian Bobin, L’Homme-joie, "Soulages", L’Iconoclaste, 2012


Pierre Soulages, peintre et graveur abstrait français, né en 1919 est très connu pour l'usage qu'il fait des reflets de la couleur "noir", nommée "noir-lumière" ou "outre-noir". (Source : Wikipedia)

 

Cliquez sur le logo pour lire d'autres contributions chez Yuko et Herisson.

 

Belles lectures !


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A
<br /> Le billet récapitulatif de Yuko m'a permis de lire ton beau billet sur cet Homme-Joie qu'est C. Bobin ! :D Je l'avais vu à La Grande Librairie peu après sa sortie et il est...tel qu'il écrit :<br /> émerveillé ! J'ai lu La plus que vive qui m'a beaucoup touchée, me reste encore La Part Manquante dans ma PAL, à savourer...<br />
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H
<br /> <br /> Oui je suis bien d'accord avec toi ! Il y a beaucoup d'interviews de lui sur You tube et c'est magique de l'écouter parler de la vie tout en images, avec ses comparaisons et ses métaphores<br /> délicieuses. Ses mots colorés sont des baumes. Il faut que je chronique, mais je le lis et le relis sans cesse : sur ma table de chevet en ce moment, c'est Souveraineté du vide et ce<br /> week-end, j'ai relu L'Inespérée. magnifique ! Comme toi, j'ai été bouleversée par La Plus que vive et dans La Part manquante, le premier texte sur les mères me fait<br /> pleurer.<br /> <br /> <br /> Je prendrai le temps d'aller lire tes articles. Merci de ta visite et à très bientôt Asphodèle ! <br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Oui j'ai vu, je t'ai répondu et je t'ai inscrite sur le billet ;) Pour mettre ton lien quand tu auras fait ta chronique, tu pourras aller dans le menu tout en haut à droite "Mes lectures communes<br /> (critiques, inscriptions, vos liens)" et y retrouver l'article correspondant ;) ou bien dans la colonne de droite sur mon logo "les lectures communes de Laure". Je suis ravie de faire cette<br /> lecture commune avec toi ;) (je ne l'ai pa encore lu j'en ai 3 à lire avant lol)<br /> <br /> <br /> Bises et belle journée :)<br />
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H
<br /> <br /> Moi aussi, j'en suis ravie ! De chouettes échanges en perspective ! Bises <br /> <br /> <br /> <br />
V
<br /> Finalement, tu n'as pas écouté de livre audio? Ce sera pour une autre fois peut-être. <br />
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H
<br /> <br /> Oh mais si Val ! Mais avant de rédiger mon article, je suis allée dans le jardin faire un bonhomme de neige avec ma petite, d'où ma contribution bien tardive ce soir ! <br /> <br /> <br /> <br />
H
<br /> Les citations sont très belles!<br />
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H
<br /> <br /> En effet, et il y en a tant d'autres ! Merci de ta visite Herisson.<br /> <br /> <br /> <br />
Y
<br /> Du Christian Bobin comme je l'aime ! poétique et sensible... J'espère le lire (je viens de terminer "un assassin blanc comme neige" ^^que j'ai aussi beaucoup aimé :) ) à très vite !<br />
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H
<br /> <br /> Demain, j'irai faire un tour sur ton blog pour lire les autres contributions, dont la tienne ! J'ai prévu d'acheter très vite Un assassin blanc comme neige.<br /> <br /> <br /> <br />