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Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!

Joseph Kessel, L'Equipage

Kessel_l-equipage-111179-250-400.jpgJoseph Kessel, L’Equipage, 1923

Folio n° 864,

Roman 220 pages

 

Je dois le dire d’emblée, ce roman est un véritable coup de cœur, totalement inattendu qui plus est car, a priori, je ne pensais pas être réceptive à l’ambiance très masculine de la vie d’une escadrille durant la Première guerre mondiale ! Mais l’élégance sobre du style, la grandeur d’âme des héros et l’histoire d’un amour impossible sur ce fond historique tragique ont eu raison de mes premières réticences.

 

Au début du roman, l’aspirant Jean Herbillon quitte ses proches pour partir à la guerre. « Il avait vingt ans. C’était son premier départ pour le front. » Et déjà, « […] sa jeunesse n’acceptait pas la guerre sans l’habiller d’une héroïque parure. » (13) A la gare de l’Est, il retrouve les soldats de retour de permission, et se mêle à « leurs groupes  avec un sentiment de fierté fraternelle » : « il les aimait pour leurs souffrances, surtout pour le signe que la mort dépose sur les hommes qu’elle guette. » (13) Et puis la femme dont il est amoureux  est venue le retrouver, Denise, sa maîtresse  sans laquelle « il eût manqué à son départ une gloire. » (14) Nous apprendrons plus tard que la jeune femme est mariée et qu’elle a menti sur son identité : elle s’appelle en réalité Hélène Maury, ce qui aura une importance cruciale dans l’intrigue.

Tout au long de ce roman d’aventures et d’action, le lecteur suit l’évolution du jeune aspirant Herbillon, prêt à tous les sacrifices et à beaucoup de courage pour atteindre son rêve de gloire et d’honneur. Il fera ses armes au sein de l’escadrille dirigée par le Capitaine Gabriel Thelis, un jeune homme profondément humain, que chacun admire sans réserve tant son charisme est flamboyant. Herbillon fera à ses côtés son baptême du feu.

Avec la vie au mess, Kessel peint les amitiés viriles, fraternelles et entières et l’impatience de ces hommes, pressés d’en découdre avec l’ennemi : on entre dans l’aviation pour être un héros et plaire aux femmes. Mais l’équipage formé par Claude Maury et Jean Herbillon n’échappera pas aux pièges de l’amour, plus dangereux encore que les combats aériens. Dans cette très belle citation, - « […] une femme a cent visages tous aussi véritables, car ce n’est pas elle qui les façonne mais ceux qui la regardent en la chérissant. » (100) -  se noue la dimension tragique du roman. Ainsi, l’amitié entre Maury et Herbillon résistera-t-elle aux mensonges et aux remords, aux non-dits et à la déception ? Seront-ils toujours en mesure de se protéger l’un l’autre quand leurs corps rendus soudain plus vulnérables par la morsure de l’orgueil seront exposés, derrière la carlingue, aux tirs ennemis ?

 

Joseph Kessel conjugue littérature et action, dans la veine de Malraux ou de Saint-Exupéry, des auteurs de la même génération, qui écrivent aussi sur l’aventure vécue. Car en 1916, Kessel s’est lui-même engagé dans l’aviation et a participé ensuite, avec le grade de lieutenant,  à des missions dangereuses de combat et de reconnaissance.

L’Equipage s’appuie donc sur l’expérience personnelle de l’écrivain, qui décrit avec un lyrisme magnifique les combats aériens des premiers avions. Pour moi, Jean Herbillon a les caractéristiques des grands héros romantiques tant sa communion avec les éléments est puissante. De plus, la dimension épique de son parcours apparaît avec force dès les premières pages du roman. Grâce à une analyse psychologique extrêmement fine, Kessel dessine, dans un même mouvement, la part d’ombre et la grandeur de l’être humain, tiraillé entre le sens de l’honneur et du devoir, la fidélité en amitié aussi bien qu’en amour, les tiraillements du désir dont les conséquences, dans l’histoire d’amour de Denise/Hélène et de Jean, sont totalement incompatibles avec l’intérêt collectif et le code d’honneur des armées.

Pour construire cette superbe « épopée humaniste », Kessel souligne les nœuds dramatiques, les lignes de force conflictuelles entre les personnages, notamment entre Claude Maury, le mari bafoué et Jean Herbillon, l’amant tourmenté. Pour comprendre ce qui les unit, j’ai noté ce très beau passage : « Et tous deux – âmes jumelles d’une cellule unique – liaient leur savoir et leur divination pour mener à bien la même tâche. Ils avaient beau souffrir l’un par l’autre, se haïr même, leurs sens, leurs nerfs, emmêlés aussi étroitement que les commandes de l’appareil, travaillaient à l’unisson. Rouages intelligents de la frêle et puissante machine qui les emportait, le même fluide circulait entre eux. » (203) Si les deux hommes forment un équipage uni dans les airs, lors des missions de combat ou de reconnaissance, des tensions extrêmes naissent entre eux, sur la terre ferme, pour l’amour de la même femme. Vous l’aurez compris, Hélène/Denise est la femme légitime de Claude que Jean aime comme un frère, ce qui rend l’amour entre les deux amants réellement impossible. D’où le remord, d’où les soupçons et tout le cortège d’émotions profondément humaines, de la jalousie à la compassion, de la haine à l’amour fraternel ou charnel, qui s’entremêlent dans une situation extrêmement complexe. 

La question du destin est également posée : Jean Herbillon, qui se sentait confusément « invulnérable » lors de ses premières sorties, prend progressivement conscience de la fragilité de la vie et de l’aspect aléatoire de ses missions. « Les questions qui lors de son premier départ semblaient essentielles n’existaient plus pour lui. Il savait maintenant que l’on n'étonnait personne à l’escadrille par le courage, car, brave ou non, chacun faisait honnêtement la même tâche périlleuse ; il savait que l’art de regarder valait plus que la témérité, que les fantaisies d’une balle folle faisaient un victorieux aussi bien qu’une victime et que la chance régissait les exploits. Le hasard dont il était le sujet passif lui inspirait une crainte dont il n’avait plus honte, sûr de ressaisir dans sa carlingue le sang-froid nécessaire et toute sa volonté de réussir. » (109)

Dans ce monde d’hommes et face au devoir qui les brise un par un, la femme apparaît comme celle qui ne se soumet jamais : « Elle pouvait, contrainte, subir la règle des hommes. Elle ne l’accepterait jamais dans la part essentielle de son être. » (192)

 

Il est parfois difficile de trouver des mots justes et suffisamment forts pour dire à quel point un roman nous a émus. Alors, je ne peux que vous en recommander très chaleureusement la lecture. Je commencerai dès la semaine prochaine un autre Kessel, La Passante du Sans-Souci ou L’Armée des ombres, très probablement. D’autres suivront, comme Mermoz, après Le Lion que j’aimerais relire aussi tant je l’avais adoré à l’adolescence. 

J'ai lu ce roman dans le cadre d'une lecture commune organisée en avril par Denis pour « Littératures francophones d’ailleurs ». Je rattache également ce billet au challenge "Un classique par mois" chez Stephie.

 

Quelques éléments biographiques :

 

Joseph Kessel est né en 1898 à Clara, en Argentine, de parents russes. Après la guerre qui a interrompu tous ses projets de carrière, Kessel consacre sa vie à la littérature et au journalisme. Ses voyages, nombreux, formeront la matière de ses écrits jusqu’à la Seconde guerre mondiale qui met un nouveau terme à ses activités. En 1940, il devient correspondant de guerre et en 1941, il entre dans la Résistance française. Il passe alors clandestinement en Angleterre où il compose avec Maurice Druon, les paroles du Chant des partisans. Après la guerre, voyages, reportages et romans reprennent. En 1963, Joseph Kessel est élu à l’Académie française.

 

Belle lecture !

 

Heide

 

litterature-francophone-d-ailleurs-1 WOTCKMJU

 

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M
Bonjour, j'ai un devoir à faire en Français et je voudrais savoir qui serait l'opposant dans ce livre. <br /> Quelqu'un pourrait-il m'aider ? Merci d'avance.
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A
<br /> Pour avoir lu plusieurs de ces ouvrages, on y prend plaisir. Je l'ai découvert avec surprise. Je vais m'inscrire sà ta communauté car j'ai découvert un petit livre qui va faire parfaitement<br /> l'affaire : Le discours sur le bonheur de Emilie du Châtelet.<br /> <br /> <br /> En attendant quelque chose t'attend chez moi:<br /> <br /> <br /> http://www.litterama.fr/article-liebster-award-2013-117506647.html<br /> <br /> <br />  <br />
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H
<br /> <br /> J'y vais Anis. Veux-tu dire que tu t'inscris aux lundis philo ? <br /> <br /> <br /> Eh oui ! Inscription validée ! J'en suis vraiment très, très heureuse ! <br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> heureux que tu aies un coup de coeur pour ce livre et l'auteur<br /> <br /> <br /> Kessel est à lire régulièrement. Chez lui l'amitié est sacrée, c'est ainsi qu'il a pu appréicer Mermoz, un livre fort à lire aussi.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je ferai demain le récap des lectures du mois Kessel et du challenge ensuite<br />
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H
<br /> <br /> Ah oui, c'est un vrai coup de coeur et Kessel est de ces auteurs qu'on a peine à quitter, comme Camus ou Duras. J'ai envie de lire l'oeuvre intégrale, c'est te dire ! Mermoz me tente<br /> beaucoup, d'autant plus car il y est question d'amitié.<br /> <br /> <br /> Je lirai avec plaisir les articles des bloggeurs qui auront participé au mois Kessel. Laure publiera en mai : tu devrais prolonger le mois Kessel en mai ! Tu auras sans doute des amateurs et<br /> j'aurai d'autres articles à écrire d'ici le 31. <br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Et je voulais ajouter que c'était encore un magnifique article Heide :)<br />
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H
<br /> <br /> Merci beaucoup Laure ! J'ai également beaucoup de plaisir à lire les tiens tant ils sont fouillés et sensibles. <br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> J'avais eu un coup de coeur pour L'armée des ombres, j'en avais fait un billet sur mon blog et pourtant moi ausssi j'étais un peu réticente avec le sujet (la résistance française pendant la<br /> guerre) me disant que j'en avais suffisamment lu, mias la plume de Kessel est superbe et d'une force indéniable. Je n'ai pas encore lu le livre que j'avais prévu pour la lecture d'avril mais je<br /> le ferai en mai.<br /> <br /> <br /> Bonne soirée Heide :)<br />
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H
<br /> <br /> J'aimerais lire très rapidement L'Armée des ombres. Tu as raison, la plume de Kessel est magnifique, ample et j'y ai trouvé une élégance toute particulière. Bises ! <br /> <br /> <br /> <br />