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Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!

Les Lundis philo (3) : Le bonheur selon Marc-Aurèle

chouette-300x211    Comme promis, ce 5 novembre, un petit article sur le thème du bonheur chez les Stoïciens notamment.


N'oubliez pas d'aller lire les articles passionnants de mes amis bloggeurs :

Catherine : des pensées autour de mots qui participent au bonheur.

Denis : un challenge philosophique pour créer au fil des mois sa pyramide du bonheur (autour du livre de Bruno Fabre)

Lee Rony : sensible à la vision kantienne du bonheur (et qui analyse avec humour d'autres approches philosophiques).

Et n'hésitez pas à nous rejoindre chaque lundi si vous le souhaitez ou le premier lundi de chaque mois autour d'une thématique particulière. Le mois prochain, sur une proposition de Denis, le thème sera la sagesse. Rendez-vous le 3 décembre !


 

    Le bonheur auquel nous aspirons tous et qui s'enracine en chacun de nous est à l'horizon de toute la réflexion philosophique. Ce que nous demandons à la vie, c'est de nous rendre heureux et de rendre heureux ceux que nous aimons. De plus, nous ressentons de l'empathie pour toute personne qui souffre car il nous paraît légitime que l'humanité entière puisse accéder au bonheur.  On se souvient de cette belle déclaration de Boris Vian dans L'Ecume des jours :


"Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le bonheur de tous les hommes, c'est celui de chacun".

 

Belle façon d'exrimer que l'accès au bonheur est un droit essentiel et universel.


    Mais qu'est-ce vraiment que le bonheur et peut-on y accéder si facilement ? A cette question, les philosophes ont répondu de façon plus ou moins optimiste en fonction des écoles : pour Aristote, le bonheur consiste dans la plus haute vertu, la contemplation. Et la contemplation peut être définie comme un état de méditation où l'âme considère un objet et s'abssorbe en lui, en dehors de toute action et de toute finalité pratique.

Pour Epicure, le bonheur se confond avec l'ataraxie, c'est-à-dire l'absence de trouble, la sérénité et la paix de l'âme.

Pour Epictète qui nous apprend les principes du stoïcisme, pour être heureux, il faut adopter une conduite conforme à la nature du réel et exercer sa liberté de jugement.

 

Globalement les philosophes de l'Antiquité avaient une vision assez positive du bonheur dans le sens où ils préconisaient des méthodes simples et rationnelles, justes aussi dans leur évidence, même s'il n'est pas toujours si simple de les mettre en pratique. Je pense à Epictète qui affirmait :


"Il n'y a qu'un chemin pour le bonheur, c'est de cesser de nous tracasser pour des choses qui ne dépendent pas de notre volonté."

 

Et puis, avec plus ou moins de force et de vivacité, nous avons tous en nous l'extraordinaire faculté de toujours chercher à surmonter les difficultés d'accès au bonheur. L'expérimentation de l'angoisse, la prise de conscience de ce déséquilibre permanent qui est le nôtre, qu'il faut négocier et qui nous fait chuter parfois,  c'est précisément ce qui fait de nous des hommes. Nous ne pouvons qu'approuver Confucius (551-479 av. JC) qui a écrit :

 

"Notre plus grande gloire n'est pas de ne pas tomber, mais de nous relever chaque fois."


Il n'est donc pas facile d'accéder au bonheur (ni de le conserver !), d'autant qu'il ne correspond pas à un état de satisfaction statique. Être heureux, c'est avoir atteint un état de plénitude et de coïncidence avec soi-même, avec nos aspirations propres, individuelles. C'est comme cela que je comprends la précision voulue par Boris Vian, dans le passage de "tous" à "chacun", dans la citation de L'Ecume des jours.


    Pour limiter l'angoisse et profiter des petits moments de bonheur au quotidien, nous pouvons essayer de nous focaliser sur ce qui dépend de nous, ce que nous pouvons faire ici et maintenant pour être bien. Et puis "faire retraite en soi-même", non pas pour nous isoler de la communauté des hommes car nous avons besoin d'interactions sociales, d'amour et d'amitié pour nous accomplir pleinement, mais pour chercher à l'intérieur de nous-même, par la méditation par exemple, ce dont nous avons besoin pour que nos tourments nous abandonnent.

 

Les stoïciens pensaient que ce n'est pas dans la possession des choses que nous expérimentons notre liberté, mais par la maîtrise de nous-même, par l'exercice d'un jugement qui dépend strictement de nous.

Dans le texte qui suit, Marc-Aurèle (121- 180), empereur romain, disciple d'Epictète,  et qui a lui-même inspiré Montesquieu, Renan, Sartre, explique que c'est de vivre en paix avec soi-même qui constitue notre vrai refuge. Il écrivit ses Pensées au cours de ses nombreuses expéditions contre les Barbares, dans la région du Danube. Après sa mort, elles furent réunies sous le titre A lui-même.

Cependant, il faut relativiser les thèses stoïciennes assez pessimistes parfois, comme le sont les Pensées de Marc-Aurèle. Mais ce qui m'intéresse dans l'approche de cette école, c'est la valeur du présent conçue comme seule réalité temporelle concrète véritable car le passé et le futur nous échappent. Et chacun sait comme il est difficile de vivre à fond le moment présent ! Et puis, on trouve chez Marc-Aurèle, le concept de "génie" intérieur présent en chacun de nous et conçu comme guide de l'homme, le rendant plus libre face aux vicissitudes externes.

 

 

marcaurele.jpgFaire retraite en soi-même


"Les hommes se cherchent des retraites, chaumières rustiques, rivages des mers, montagnes : toi aussi, tu te livres d'habitude à un vif désir de pareils biens. Or, c'est là le fait d'un homme ignorant et peu habile, puisqu'il t'est permis, à l'heure que tu veux, de te retirer dans toi-même. Nulle part l'homme n'a de retraite plus tranquille, moins troublée par les affaires, que celle qu'il trouve dans son âme, particulièrement si l'on a en soi-même de ces choses dont la contemplation suffit pour nous faire jouir à l'instant du calme parfait, lequel n'est pas autre, à mon sens, qu'une parfaite ordonnance de notre âme. Donne-toi donc sans cesse cette retraite, et, là, redeviens toi-même. Trouve-toi de ces maximes courtes, fondamentales, qui, au premier abord, suffiront à rendre la sérénité à ton âme et à te renvoyer en état de supporter avec résignation tout ce monde où tu feras retour.
Car enfin, qu'est-ce qui te fait peine ? La méchanceté des hommes? Mais porte la méditation sur ce principe que les êtres raisonnables sont nés les uns pour les autres; que se supporter mutuellement est une portion de la justice, et que c'est malgré nous que nous faisons le mal; enfin, qu'il n'a en rien servi à tant de gens d'avoir vécu dans les inimitiés, les soupçons, les haines, les querelles: ils sont morts, ils ne sont plus que cendre. Cesse donc enfin de te tourmenter.
Mais peut-être ce qui cause ta peine, c'est le lot d'événements qu'a créé l'ordre universel du monde ? Remets-toi en mémoire cette alternative : ou il y a une Providence, ou il n'y a que des atomes ; ou bien rappelle-toi la démonstration que le monde est comme une cité.
Mais les choses corporelles, même après cela, te feront encore sentir leur importunité ? Songe que notre pensée ne prend aucune part aux émotions douces ou rudes qui tourmentent nos esprits animaux, sitôt qu'il s'est recueilli en lui même et qu'il a bien reconnu son pouvoir propre, et toutes les autres leçons que tu as entendues sur la douleur et la volupté, et auxquelles tu as acquiescé sans résistance.
Serait-ce donc la vanité de la gloire qui viendrait agiter dans tous les sens ? Regarde alors avec quelle rapidité l'oubli enveloppe toutes choses, quel abîme infini de durée tu as devant toi comme derrière toi, combien est vain chose un bruit qui retentit, combien changeants, dénués de jugement, sont ceux qui semblent applaudir, enfin la petitesse du cercle qui délimite ta renommée. Car la terre tout entière n'est qu'un point; et ce que nous en habitons, quelle étroite partie n'en est-ce pas encore ? Et dans ce coin, combien y a-t-il d'hommes, et quels hommes ! Qui célébreront tes louanges ?
Il reste donc que tu te souviennes de te retirer dans ce petit domaine qui est toi-même. Et, avant tout, ne te laisse point emporter çà et là. Point d'opiniâtreté; mais sois libre, et regarde toutes choses d'un oeil intrépide, en homme, en citoyen, en être destiné à la mort.
Puis, entre les vérités les plus usuelles, objets de ton attention, place les deux suivantes : l'une, que les choses extérieures ne sont point en contact avec notre âme, mais immobiles en dehors d'elle, et que le trouble naît en nous de la seule opinion que nous nous en sommes formés intérieurement ; l'autre, que tout ce que tu vois va changer dans un moment et ne sera plus. Remets-toi sans cesse en mémoire combien de changements se sont déjà accomplis sous tes yeux. Le monde, c'est transformation ; la vie, c'est opinion."

 

Marc-Aurèle, Pensées.

 

Bon voyage !

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N
<br /> Je dois recenser les albums et les documentaires pour la jeunesse que je proposerai aux membres de mon club de lecture, je peux éventuellement en parler sur mon blog. Il me semble que c'est<br /> important d'apprendre aux enfants à s'exprimer, et à les laisser dire ce qu'ils pensent et les initier à une réflexion philosophique, Je vais réfléchir à ça et te dirai si je peux m'inscrire à<br /> tes lundis philo.<br />
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H
<br /> <br /> Oui, je trouve aussi.<br /> <br /> <br /> Ce serait super que tu proposes une liste sur ton blog. Si tu veux bien, mets-moi ton lien en commentaire et je l'insèrerai dans un prochain article des lundis philo. J'espère qu'on te comptera<br /> bientôt parmi nous. <br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> D'ailleurs certains pensent une philosophie de la joie plutôt que du bonheur qui est un état plutôt passager. D'autres disent que le but de la vie est le sens et non pas le bonheur, vivre heureux<br /> dans une dictature par exemple n'a pas de sens, se battre pour la liberté en a un. Le bonheur étant le couronnement d'une activité (chez Aristote, il me semble). C'est très riche.<br />
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H
<br /> <br /> Merci pour ton analyse, très intéressante. C'est un peu le parti pris d'André Comte-Sponville dans sa conférence Le Bonheur désespérément (disponible en Librio) : le bonheur est une<br /> notion trop abstraite et instable. Les plaisirs de la vie, les joies simples sont plus concrètes et accessibles pour peu que nous sachions en profiter, ce qui n'est pas toujours le cas. Et puis<br /> il y a le problème du désir et du manque : il explique qu'il est difficile d'être heureux tant que le désir est là car ce désir est l'expression d'un manque. Et nous sommes perpétuellement<br /> insatisfaits puisque que dés qu'un désir est comblé, nous nous empressons de jeter notre dévolu sur autre chose créant ainsi un nouveau manque etc.Donc on en revient à la question du sens aussi<br /> et à l'insuffisance du "matériel" dans cette quête.<br /> <br /> <br /> Tu as raison, pour Aristote, c'est l'activité humaine qui conduit au bonheur et surtout l'activité supérieure de la pensée, d'où sa thèse que le bonheur réside dans la contemplation.<br /> <br /> <br /> Bon week-end ! <br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Quelle belle initiative, je vais prendre le temps de lire car j'anime un club de lecture pour les enfants de 8 à 12 ans et j'ai un group de 12 filles, et oui pas un garçon !! Je vais organiser<br /> une séance "philo" avec un animateur qui anime plus précisément un public jeune. Je pense qu'un peu de réflexion philosophique dans la course folle de nos vies peut être salutaire. C'es tune<br /> belle initiative. A bientôt.<br />
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H
<br /> <br /> Si tu veux, tu peux nous rejoindre le premier lundi de chaque mois, sans obligation de participer à chaque fois bien sûr. On pourrait recenser dans un article les albums jeunesse qui existent<br /> autour de la philosophie. Qu'en dis-tu ? C'est une belle idée aussi de philosopher avec les enfants. je sais que ça se fait dés la maternelle, de manière expérimentale, et ça marche ! Les petits<br /> ont beaucoup à nous apprendre par leur spontanéité.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Trouver le bonheur en soi est important, c'est dire qu'alors on réfléchit sur ses actes, sur sa vie, sur son "moi".<br /> <br /> <br /> Mais le bonheur est aussi lié aux autres, à ceux que nous cotoyons et de fait le bonheur n'est pas stable, car il est remis en cause constamment.<br /> <br /> <br /> Trouver le juste équilibre est tout l'art de la quête du bonheur. Ne sommes nous pas des Sisyphe face au bonheur? Rouler notre rocher et oser dire comme Camus : il faut imaginer Sisyphe heureux<br /> !!!  A méditer. Cette phrase est une force intense pour conduire au bonheur même dans la peine et la difficulté.<br /> <br /> <br />  <br />
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H
<br /> <br /> Voilà en fait, tu as raison, toute la difficulté est de trouver le juste équilibre. Et tu sais, Camus a dit aussi : "Notre consolation ici-bas réside en ceci qu'il n'y a pas de douleur qui ne<br /> se lasse. Une souffrance passe, une joie naît, elles se tiennent l'une l'autre embrassées." Rouler éternellement un rocher qui retombe sans cesse ; sans cesse recommencer la même tâche et<br /> être heureux malgré tout, cela demande une grande force intérieure. C'est un défi oui. J'aime bien aussi ce proverbe arabe qui dit :<br /> <br /> <br /> "Jette ton coeur loin devant toi<br /> <br /> <br /> Et cours l'attraper"<br /> <br /> <br /> Il y a dans ces deux vers une belle dynamique, plus linéaire peut-être. Mais le proverbe ne dit pas si nous pourrons le rattraper finalement. <br /> <br /> <br /> <br />