Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
"Noces à Tipasa",
établissement du texte définitif : fin de l'été 1937
Au début de ma lecture de La Tentation libertaire. La vie philosophique d'Albert Camus de Michel Onfray, je me suis dit que je devais absolument lire "Noces à Tipasa", ce "chef d'oeuvre de la littérature philosophique" (M. Onfray) . Je souhaitais faire l'expérience de cette transformation intérieure dont parle Onfray.
Ce texte sublime a des allures de poème tant Camus joue avec les mots et les figures de style pour servir le lyrisme de ses descriptions : comme cet oxymore présent au tout début du texte pour évoquer Tipasa au printemps "A certaines heures, la campagne est noire de soleil" alors que "la mer [est] cuirassée d'argent". Dès l'incipit, on se laisse porter par la beauté des images , symboles de la "vérité du soleil", seul message philosophique, sans "leçon" autre que celle des sens.
Premier des quatre essais du recueil Noces, "Noces à Tipasa" est un hymne vibrant au "grand libertinage de la nature et de la mer qui accapare tout entier." Camus décrit un endroit paradisiaque où les fleurs poussent au milieu des ruines, exaltant leurs couleurs chatoyantes, "bougainvilliers rosat", "hibiscus au rouge encore pâle" , "roses thé épaisses comme de la crème", "iris bleus". Il en parle comme d'un endroit à offrir en cadeau à ceux qu'on aime pour surprendre dans leurs regards éblouis la joie de l'émerveillement. Camus se rendit fréquemment, en 1935 et 1936, dans ce petit village de bord de mer, situé à 70 km à l'ouest d'Alger.
Alors, que nous apprend un tel endroit où "les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils" ? Camus nous dit que ce lieu magique nous apprend à VOIR, à être totalement soi-même, authentique, sans "aucun masque".
Alors intervient l'une des réflexions-phare de "Noces à Tipasa " :
" Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est,
de retrouver sa nature profonde."
Cette phrase de Camus fait écho à l'aphorisme de Pindare - et de Nietzsche aussi, je crois, que Camus a toujours lu :
"Deviens qui tu es."
Mais pour Albert Camus, nous avons le "devoir d'être heureux", au moins lorsque nous vivons "un jour de noces avec le monde."
Camus, qui se savait atteint d'une forme sévère de tuberculose, considère dans cet essai qu'"il n'y a pas de honte à être heureux", à jouïr de la vie pour soi-même et soi seul. Michel Onfray analyse la joie de vivre de Camus, qui aime offrir son corps au soleil ou se fondre dans la mer, comme une propension à l'hédonisme (doctrine philosophique qui considère que l'objectif essentiel de l'existence humaine est la recherche du plaisir). Plus tard, dans La Peste, Camus reviendra sur cette conception un peu égoïste du bonheur à travers l'affirmation de Rambert : "Il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul." (Source : note 9, page 1348 de La Pléiade)
Alors Michel Onfray a bien raison d'écrire qu'il faut lire "Noces à Tipasa", en particulier parce qu'il nous donne à voir tout le talent de poète d'un homme qui a été assimilé à "un philosophe pour classes de Terminale" alors qu'il était surtout un philosophe de la vie, un philosophe "existentiel" (Onfray) à défaut d'être un philosophe existentialiste mondain.
Je vous invite à lire les articles de Denis et de Laure. J'ajouterai les liens demain soir.
Belle lecture et bon voyage philosophiques !
Heide
Tipasa