Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Madame du Châtelet, Discours sur le bonheur
Rivages poche / Petite Bibliothèque Payot, 1997
(75 pages, avec la préface d'Elisabeth Badinter)
Tout d'abord, je suis ravie d'avoir pu convaincre Anis de participer à ces Lundis philo et je suis doublement ravie d'avoir découvert cette semaine, sur son idée, le Discours sur le bonheur de Madame du Châtelet, un essai qui devrait être lu dans les lycées notamment, tant il est riche d'enseignements et source de réflexion. De plus, en publiant ce petit traité (44 pages), l’éditeur a répondu à l’un des désirs les plus forts de Mme du Châtelet : passer à la postérité, « faire parler de soi quand on ne sera plus ».
A une époque où l’éducation intellectuelle des filles est loin d’être la priorité, Mme du Châtelet incite à se laisser aller au plaisir de l’étude, « une ressource sûre contre les malheurs et une source de plaisirs inépuisable. » (16) Scientifique passionnée, elle fut aussi une femme libre partageant avec Voltaire une passion intense entre 1735 et 1740. Après cette date, Voltaire s’éloigne, mais Emilie lui aura transmis son goût pour les mathématiques et la physique, et avec lui, elle aura vulgarisé les thèses novatrices de Newton. Emilie a traduit les œuvres du physicien anglais – notamment les Principia, « dont le latin rendait l’accès au public difficile » (Badinter) - tandis que Voltaire publiait un traité sur le sujet (Eléments sur la physique de Newton).
Ainsi, Emilie du Châtelet est reconnue par le monde scientifique de son époque. Dans sa préface, Elisabeth Badinter explique qu’elle fut la représentante officielle de Leibniz en France après la publication des Institutions de physique, en 1740. Elle fut pourtant souvent vilipendée par les mauvaises langues, des hommes offusqués qu’une femme ait l’audace de "se mêler de sciences" ; mais aussi de façon plus surprenante, des femmes qui critiquaient sa laideur et son affreux caractère, par jalousie peut-être.
Marianne Loir (1715-1769),
Portrait de Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet
Dans le Discours sur le bonheur, rédigé entre 1746 et 1747 et publié pour la première fois à titre posthume en 1779, Mme du Châtelet développe, sans aucun dogmatisme, sa conception épicurienne de la vie. Son projet est très généreux : le sens de sa démarche est de nous faire gagner du temps pour que nous n’ayons pas à attendre, pour être heureux, d’être nous-mêmes à l’âge où l’on tire des leçons de la vie.
Forte de son expérience de femme d’âge mûr, elle nous donne quelques conseils simples, d’un bon sens pratique très féminin et souvent amusant de surcroît – je pense au développement sur la gourmandise, que j’ai trouvé vraiment très drôle et si juste. Je pense aussi à son analyse des idées de Montaigne sur la mort, cette sorte d’accoutumance à l’idée, de préparation à sa propre fin, qu’elle ne partage pas du tout.
Pour elle, « nous n’avons rien à faire dans ce monde qu’à nous y procurer des sensations et des sentiments agréables » (33), mais toujours avec l’idée de rechercher un équilibre harmonieux entre nos désirs et l’effet qu’ils auront sur nous, ceci afin d’en tirer le meilleur parti possible.
Pas de recettes miracles mais pour être heureux, il faudrait :
- « se contenter de son état » et chercher à progresser, à l’améliorer plutôt que de vouloir à tout prix en changer. Mieux vaut une progression mesurée qu’une révolution en somme.
- prendre soin de sa santé : c’est là qu’elle développe une argumentation pétillante pour obtenir « une jouissance plus délicieuse de la gourmandise »(37 – 38)
- agir en accord avec soi-même et ne pas tromper « l’œil vigilant de sa propre conscience. » (44)
- être vertueux bien sûr.
- savoir s’émerveiller en se prêtant à l’illusion, mais se garder des préjugés, ce qui est constant dans l’esprit des Lumières, en particulier en ce qui concerne la religion, à l’égard de laquelle on doit faire preuve d’esprit critique.
D'autres idées sont développées et il faut lire Madame du Châtelet surtout. Pour finir, ce que je retiendrais tout particulièrement est un conseil des plus précieux : « être bien décidé à ce qu’on veut faire et à ce qu’on veut être […] » afin d’éviter de "[nager] perpétuellement dans une mer d’incertitudes » et de "[détruire] le matin ce qu’on a fait le soir […] » Et puis aussi « s’épargner les petits malheurs de détail. » (49)
Finalement, alors qu’elle prônait la mesure en toutes choses, Emilie a succombé à la démesure en aimant à la folie un homme plus jeune qu’elle, Saint-Lambert : enceinte à un âge déjà avancé, elle est morte des suites de son accouchement, à 43 ans, en 1749.
C’est aussi cette « entorse », dans la vie d'une femme libre, capable de démesure, qui confère à ces Discours sur le bonheur toute leur modernité.
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Belle lecture et bon voyage philosophiques !
Heide