Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Les « Lundis philo », un mardi ? C’est peu conventionnel, mais cela ne manque pas d’originalité ! Je suis désolée d’avoir manqué notre rendez-vous mensuel, mais je me rattrape aujourd’hui avec quelques réflexions sur le voyage, à partir des Essais, écrits entre 1572 et 1592, par Michel de Montaigne (1533-1592).
Portrait dit "de Chantilly" (auteur anonyme)
Ce grand penseur de la Renaissance, moraliste et philosophe, a vécu non loin de chez moi, à Saint-Michel-de-Montaigne, en Dordogne. Il fut aussi maire de Bordeaux. Le château familial a entièrement brûlé, mais il est possible de visiter encore la tour dans laquelle se trouvait sa bibliothèque, un refuge où il rédigea ses Essais. C’est un endroit « mythique » à visiter à l’occasion d’un voyage dans notre belle région !
Château de Montaigne,
Saint-Michel-de-Montaigne (24)
Montaigne a beaucoup voyagé et il l’a fait pour des raisons variées : pour se soigner – il souffrait de la gravelle (coliques néphrétiques) -, mais aussi pour le plaisir d’aller à la rencontre de l’inconnu. Outre le Journal de voyage, une collection de notes sur sa traversée de la Suisse, de l’Allemagne et de l’Italie, qui n’était pas destinée à la publication, on lira avec intérêt le chapitre des Essais intitulé « De la vanité » consacré à ses voyages, aux us et coutumes des pays traversés. Il s’agit à la fois d’un éloge de la diversité et d’une satire d’un profil particulier de voyageurs « enivrés de cette sotte humeur de s’effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. » Montaigne explique ensuite que ces voyageurs répugnent à se mêler à ceux qui leur sont étrangers et dont les mœurs sont jugées « barbares », au sens où l’entendaient les Romains.
Comment ne pas retrouver dans la critique de Montaigne l’image des habitudes touristiques d’aujourd’hui ? Quand nous voyageons dans des pays dont la culture est très différente de la nôtre, au lieu de nous regrouper dans des complexes hôteliers – ce qui nous rassure sans doute –, peut-être pourrions-nous lorsque la situation géopolitique le permet, séjourner au cœur même des contrées inconnues que nous visitons, au contact de la population locale le plus souvent extrêmement accueillante.
« Faire des voyages me semble un exercice profitable. L’esprit y a une activité continuelle pour remarquer les choses inconnues et nouvelles, et je ne connais pas de meilleure école pour former la vie que de mettre sans cesse devant nos yeux la diversité de tant d’autres vies, opinions et usages. » (Essais, III, 9)
Dès le livre I, dans le chapitre intitulé « De l’institution des enfants » (chapitre XXVI), Montaigne loue la valeur éducative des voyages, qui nous permettent de « limer et frotter nostre cervelle contre celle d’autrui. » Ainsi, les voyages forment la jeunesse, comme le dit l’adage – qui n’est pas de Montaigne quoiqu’on le lui attribue souvent -, mais à condition de se laisser traverser et d’avoir aussi un peu l’âme d’un aventurier.
Cependant, toujours dans ses Essais, Montaigne avoue une chose surprenante, qui le concerne plus directement et qui donne matière à réflexion :
« Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages que je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche. »
Ainsi les motivations qui poussent au départ pourraient être moins positives qu’il n’y paraît si le voyage répond à un besoin de fuir, de s’absenter de ce qui nous déplaît dans notre vie pour embrasser une vie plus vaste, plus colorée, plus excitante. Par le dépaysement, par la richesse des expériences sensorielles, des rencontres qu’il procure, le voyage serait une sorte d’exutoire. Il n’est pas nécessaire d’avoir parfaitement conscience de ce que nous espérons trouver ailleurs pour que s’opère ce mouvement vers un possible autre. Dans tous les cas, Montaigne fait l’éloge de l’ouverture, de la curiosité, mais sa remarque présuppose aussi qu’il est difficile de trouver un lieu où poser ses bagages quand dans sa vie, on ne se sent pas tout à fait à sa place.
Par l’ouverture qu’il génère, le voyage est un formidable élan vers la découverte de notre identité profonde, que nous apprenons à mieux connaître. Voyager implique nécessairement l’idée de retour : retour vers ce qu’on a fui si l’on a fui, retour à la maison après de belles vacances, retour au pays natal, retour sur soi… Oui, l’ailleurs peut être aussi un retour aux sources et l’étranger, un lien vers soi-même. Quand je suis allée au Maroc, j’ai senti que le désert faisait partie de mon paysage intérieur, qu’il en faisait déjà partie avant même de le contempler pour la première fois. Ses couleurs et sa lumière ont brillé dans les yeux de mes ancêtres et je l’ai reçu en héritage. J’aurais pu ne jamais le savoir. Au retour, j’ai ressenti le besoin d’explorer ces sensations nouvelles en moi et c’est inépuisable.
Enfin, il est toujours possible de voyager sans quitter sa chambre avec un bon livre par exemple, mais le rêve est encore meilleur, la contemplation plus épanouissante, l’identification plus forte lorsque l’on y retrouve l’écho bruissant et chatoyant de nos souvenirs.
Voici les liens vers les billets d'Anis, Catherine, Denis, Lee Rony, Sophie.
Rendez-vous le mois prochain, lundi 1er juillet, autour du philosophe Albert Camus.
Une lecture commune de l'essai de Michel Onfray, L'Ordre libertaire. La vie philosophique d'Albert Camus est proposée, si vous le souhaitez.
Bon voyage philosophique !
Heide