Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Augustin d'Hippone
vu par Sandro Botticelli, vers 1480.
Pour commencer, quelques mots sur Augustin d'Hippone, dit Saint-Augustin, ce grand penseur, qui a vécu entre 354 et 430. Il est né à Thagaste, l’actuelle Algérie. Sa mère l’élève à la fois dans la culture païenne et dans le christianisme. Ce n’est qu’en 386 qu’il se convertit définitivement à la foi chrétienne, consacrant sa vie à la méditation. Il mènera cependant une vie active d’évêque, de directeur de conscience et de polémiste. Son œuvre est immense, mais on a surtout retenu La Cité de Dieu et Les Confessions, une sorte d’autobiographie spirituelle. (Source : La Pratique de la philosophie de A à Z, Hatier)
Qu’est-ce que le temps ? Dans ses Confessions, Saint-Augustin en parle comme d’une énigme, mettant en doute la réalité même de la notion. Il tente de définir les trois temps - passé, présent, futur – mais s’empresse de constater que le premier n’est plus, que le second s’enfuit et que le troisième n’est pas encore. Pour lui, il s’agit donc d’un « abus de langage » et il serait plus juste de parler de « présent du passé » pour la mémoire, de « présent du présent » pour « la vision directe » et de « présent du futur » pour l’attente. (Les Confessions, Livre XI, chapitre XX)
Pour Saint-Augustin, le temps ne représente plus la seule mesure du mouvement des astres, contrairement à ce que défend la tradition philosophique. Ainsi, le temps n’est plus une donnée objective, il ne tient plus sa structure du cosmos, mais uniquement d’une disposition de l’âme. C’est elle qui définit les trois dimensions du temps : l’avenir correspond à l’attente inquiète de l’âme, le passé est effort de l’âme pour se souvenir. Le présent en tire une stabilité toute relative. Le temps est donc une notion humaine, définie uniquement par l’activité de l’esprit.
Voici un extrait très éclairant des Confessions, à mettre en relation avec les Pensées de Pascal et les très belles Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau :
« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Si quelqu’un pose la question et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus.
Toutefois, j’affirme avec force ceci : si rien ne passait, il n’y aurait pas de passé ; si rien n’advenait, il n’y aurait pas de futur ; si rien n’était, il n’y aurait pas de présent. Mais ces deux temps – le passé et le futur -, comment peut-on dire qu’ils « sont » puisque le passé n’est plus, et que le futur n’est pas encore ? Quant au présent, s’il restait toujours présent sans se transformer en passé, il cesserait d’être « temps » pour être « éternité ». Si donc le présent, pour être « temps », doit se transformer en passé, comment pouvons-nous dire qu’il « est », puisque son unique raison d’être, c’est de ne plus être – si bien que, en fait, nous ne pouvons parler de l’être du temps que parce qu’il s’achemine vers le non-être ? »
Augustin, Les Confessions, Livre XI, chapitre 14
Les interrogations de Saint-Augustin sur le temps donnent matière à réflexion. Sa logique est implacable : incontestablement, définir les modalités du temps, - que l’on reconnaît bien pourtant - est presque une gageure. Sans parler de nos difficultés à nous inscrire dans un moment aussi fugace que le présent ! Existe-t-il d’ailleurs ?
On retrouve l’écho de ces questions fondamentales chez Pascal, grand lecteur des Essais de Montaigne. Pascal interprète notre tendance à nous projeter dans le passé et dans l’avenir comme le signe d’une profonde angoisse : car si nous valorisons tant le passé qui n’est plus et l’avenir qui n’existe pas encore, c’est pour supporter un présent douloureux, le seul temps dont nous disposons vraiment et que nous cherchons pourtant à fuir.
« Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. » (Pascal, 1670)
Plus tard, dans ses Rêveries du promeneur solitaire, Rousseau montre que la rêverie est un exemple de l’expression de la plénitude, de l’existence pure du moment présent par laquelle nous sommes pleinement là, puisant le bonheur en nous-mêmes :
« Mais s’il est un état où l’âme trouve une assiette assez solide pour s’y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d’enjamber sur l’avenir ; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, dé désir ni de crainte que celui de notre seule existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure, celui qui s’y trouve peut s’appeler heureux […] »
Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire, 1776-1778
Les billets de Coccinelle, Denis, Lee Rony.
Un peu plus tard, Anis de Litterama nous proposera un très beau sujet sur "Virginia Woolf et le temps".
Belles lectures et bon voyage philosophiques !