Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Vladimir Jankélévitch,
Béatrice Berlowitz,
Quelque part dans l'inachevé,
NRF, Gallimard, 1978 (Entretiens, 265 pages)
Ce rendez-vous thématique des Lundis philo ne sera pas le dernier de ce mois de septembre ! Voici une première présentation de l’œuvre du philosophe Vladimir Jankélévitch, que je vais lire pendant quelques jours encore tant il me passionne. D’autres articles viendront donc compléter celui-ci chaque lundi.
Quelque part dans l’inachevé qui fait l’objet de notre lecture commune est un long entretien mené par Béatrice Berlowitz dans lequel Jankélévitch présente les grandes caractéristiques de son œuvre, mais aussi ce qui le révolte – l’antisémitisme de gauche, par exemple. J’ai lu la moitié de l’ouvrage et c’est vraiment une lecture passionnante ! Jankélévitch analyse la précarité de l’existence sans négativisme et sa pensée me touche profondément tant elle est lumineuse. Sa sincérité et la simplicité avec laquelle il développe ses idées, évidemment d’une grande érudition, ont fait de lui un professeur très admiré, soucieux d’être compris par les « profanes, employés, étudiants désintéressés, […] les vrais défenseurs de la philosophie. » (104)
Vladimir Jankélévitch est né en 1903 à Bourges, de parents russes. Il est mort en 1985. Formé à l’Ecole Normale supérieure, il devient professeur de philosophie morale à la Sorbonne après la Seconde guerre mondiale durant laquelle il s’est engagé dans la Résistance.
Jankélévitch est un « philosophe-poète » fascinant. Il développe ses idées en s’appuyant sur des images, mais aussi sur ce que provoque en chacun de nous la musique, qui touche à l’universalité. « Seules la musique et la poésie peuvent se permettre de ne pas enseigner… » Car l’émotion, les sensations que nous ressentons parlent alors mieux que les mots dont la puissance est toute relative. Au début de ces entretiens, il est longuement question du temps et de la temporalité, de la difficulté de le cerner sans en faire un espace « localisable » alors qu’il est aussi fugace que le « Vent dans la plaine, dont la chanson immémoriale n’a jamais commencé, dont la chanson perpétuelle jamais ne finira. » (99)
Jankélévitch écrit aussi que « tout esprit libre est un peu poète : car le poète lui aussi lutte contre les stéréotypes et les images mortes du langage pour en raviver la splendeur. » (109) Dans le chapitre « La philosophie étranglée », il rappelle que « la nécessité de lutter pour la philosophie est presque aussi vitale que le combat de naguère pour la liberté. » Philosopher nous conduit à ne pas être dupe de tout ce que nous tenons pour vérité incontestable : par exemple, « nous sommes à la remorque du langage alors que nous croyons le conduire », car à notre insu, tous nos discours sont dictés par notre inconscient. J'ai lu quelque part qu'il était "attentif aux mille nuances de la vie psychique." C'est exactement cela !
Et puis, Jankélévitch a une façon bien particulière de présenter les concepts-clés de sa pensée : le je-ne-sais-quoi et le presque-rien ; la conscience-de-mourir ; le tout-ou-rien de l’existence...
Le je-ne-sais-quoi peut être appliqué à la moralité, dont l’essence si fragile intéresse beaucoup le philosophe : la fugace intention morale risque à tout moment de sombrer dans la déchéance qu’elle combat. Jankélévitch analyse comme cela toutes les contradictions inhérentes à la vie humaine : par exemple, la conscience que nous avons des choses fait toute notre grandeur, mais peut aussi nous rendre superficiels : dès que nous nous regardons en train d’agir, nous perdons notre authenticité et notre innocence - Qu’est-ce d’ailleurs que l’innocence et à quelle condition se déploie-t-elle ?
Seul l’amour est inestimable car il donne une valeur à tout ce qui est. Le presque-rien n’est pas dénué de valeur, puisqu’on le retrouve dans la musique, qui est « plénitude exaltante de l’être », donc essentielle, mais en même temps elle est une image de ce qu’il y a d’irrévocable et d’éphémère dans la vie humaine...
J’ai également beaucoup aimé le passage où il oppose mémoire et réminiscence. La réminiscence a « [une] sonorité poétique et nostalgique » pour Jankélévitch. Au contraire, la mémoire est absence de légèreté. Elle est décrite comme « un coffre-fort » ou l’on enferme les souvenirs comme des biens capitalisables. « La mémoire ainsi entendue est le lieu des pensées lourdes, alors que la réminiscence est une apparition fugitive dans le ciel du présent. » Et cette apparition est comme une « brèche » dans l’espace-temps, une brèche précieuse, qui nous saisit en plein vol et nous laisse sans voix, bouleversés. Qui n’a jamais été comme happé de l’intérieur, saisi jusqu’aux larmes par un parfum, une mélodie ? « Une simple bouffée, une effluve olfactive suffisent à ranimer, et parfois de manière presque hallucinatoire, tel ou tel âge de notre vie dans sa vérité vécue. Une mélancolie pénétrante poétise alors notre présent. […] C’est le vague à l’âme ! » Mais ce vague à l'âme est précieux. La fameuse madeleine de Proust…
Quelques œuvres de Jankélévitch (liste non exhaustive) :
La Mauvaise Conscience, 1933
L’Ironie ou la bonne Conscience, 1936
Traité de vertus, 1949
Debussy et le mystère de l’instant, 1950
Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957
Le Pur et l’impur, 1960
La Mort, 1966
L’Imprescriptible, 1970
Si pour cause de rentrée scolaire je n’avais pas le temps lundi soir d’indiquer les liens vers vos articles et de venir vous lire, je le ferai mardi soir sans faute. Quant à mon article d'août sur le temps, je le publie dès que j'ai une heure pour le mettre en page sur le blog. Plus le temps ce soir (cette nuit), décidément ! Mais on n'est plus à un jour près !
Les billets d’Alexandra, Coccinelle, Denis, Lee Rony (d’autres ?)
Belles lectures et bons voyages philosophiques !