Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Roman, 117 pages
Les numéros de page donnés dans cet article sont ceux de l'édition Gallimard, NRF, coll. "Du monde entier", mais il existe également une édition de poche :
Sonietchka est le premier roman de Ludmila Oulitskaïa. Il a été publié en Russie en 1995 et en France, chez Gallimard en 1996 où il a reçu le Prix Médicis étranger l’année de sa parution. Ce roman très court est un petit bijou et mérite sa place parmi les plus belles pages de la littérature.
Sonietchka, personnage féminin éponyme, - c’est le diminutif de Sonia - cherche le réconfort et le bien-être dans les livres depuis l’enfance. La lecture lui permet de se retrancher du monde pour pouvoir y vivre. « Pendant vingt années, de sept à vingt-sept ans, Sonietchka avait lu presque sans discontinuer. Elle tombait en lecture comme on tombe en syncope, ne reprenant ses esprits qu’à la dernière page du livre. » (8) Mieux, la petite ne fait aucune différence entre les personnages imaginaires et les êtres de chair et d’os qui l’entourent. En toute logique, elle devient bibliothécaire et travaille « dans la réserve en sous-sol d’une vieille bibliothèque. »
Nous sommes dans les années 30. Un jour, alors qu’elle remplace l’une de ses collègues dans la salle de lecture, elle rencontre Robert Victorovitch, « un homme petit, grisonnant, à la maigreur acérée », nettement plus âgé qu’elle puisqu’il vient d’avoir quarante-sept ans. Artiste-peintre, de retour de Paris, il recherche des ouvrages en français, à l’heure de la fermeture, ce qui ne manque pas d’attirer l’attention de la jeune femme. Deux jours plus tard, Robert Victorovitch revient à la bibliothèque et demande Sonietchka en mariage : il a peint son portrait et le lui offre en cadeau de fiançailles. Robert a l’intuition qu’il sera heureux avec Sonietchka : « […] voilà qu’il se trouvait devant une femme éclairée de l’intérieur par une réelle lumière, il pressentait en elle une épouse qui abriterait entre ses mains fragiles sa vie exténuée, recroquevillée contre terre, il voyait aussi qu’elle serait un doux fardeau pour ses épaules qui n’avaient jamais supporté de famille, pour sa virilité frileuse qui avait fui les charges de la paternité et les contraintes du mariage. » (23)
Robert a été emprisonné dans les camps staliniens pendant cinq longues années, ce qui lui a donné « un tempérament d’ascète » (26). Tous deux savent donc se contenter de peu, ce qui est heureux car leurs conditions de vie sont précaires, mais ils se complètent et leur harmonie est parfaite : « A l’instar du contact avec la pierre philosophale, les nuits passées à bavarder avec sa femme enclenchaient un mécanisme magique de purification du passé… » (25). Par la suite, Sonietchka mettra au monde, par miracle, leur fille unique, Tania. Absorbée par les tâches ménagères, depuis qu’elle est épouse et mère, Sonietchka ne lit plus. Elle vieillit et enlaidit vite, sans tristesse ni amertume toutefois : « Mais l’amertume de vieillir n’empoisonnait nullement la vie de Sonietchka, comme c’est le cas pour les femmes fières de leur beauté. » (49) Elle accepte les choses comme elles viennent et s’en émerveille tant elle est convaincue que le bonheur lui a été accordé « par erreur, à la suite d’une négligence » et qu’elle risque de le perdre à tout moment. Lorsque leur existence devient plus légère, grâce à un logement plus spacieux et un budget plus large, Tania est adolescente. L’arrivée de son amie, prénommée Jasia, bouleversera la vie tranquille de Sonietchka, qui s’adaptera pourtant au nouvel ordre des choses, avec ce don de soi si émouvant qui la caractérise…
Ludmila Oulitskaïa nous offre, avec sa Sonietchka, un beau portrait de femme généreuse et dévouée, à la simplicité lumineuse. Dans La Passion suspendue, Entretiens avec Leopoldina Pallota della Torre, Marguerite Duras analyse les particularités de l’écriture féminine : « Il y a un rapport intime et naturel qui depuis toujours lie la femme au silence et donc à la connaissance et à l’écoute de soi. Cela conduit son écriture à cette authenticité qui fait défaut à l’écriture masculine, dont la structure renvoie trop à des savoirs idéologiques, théoriques. » (page 83)
J’ai repensé à cette analyse de MD en lisant L. Oulitskaïa : elle a exactement ce dont parle MD, une écriture authentique et sensible, qui plonge au cœur de la psychologie féminine, et maintient toujours une forme de vérité et d’élégance, même dans la gravité des instants tragiques. Ceux-ci s’allègent alors libérant, dans le même mouvement, une profonde émotion. En arrière-plan, le contexte est saisissant : Oulitskaïa évoque, avec la même authenticité, la vie difficile des intellectuels à l’époque de Staline, une vie faite de pauvreté et de restriction des libertés, dont la description sublime le courage et l’aliénation de Sonietchka.
Un grand merci à Anis qui a initié le challenge Lire avec Geneviève Brisac (CLIC).
J’ai bien envie d’aller plus loin dans mes lectures autour de l’essai La Marche du cavalier. D’autres livres sont d’ores et déjà dans ma PAL dont un autre titre d’Outliskaïa, Un si bel amour et autres nouvelles. Mais je compte diversifier aussi en suivant les conseils de lecture de Geneviève Brisac publiés sur Litterama : Jean Rhys, La Prisonnière des Sargasses et Fugitives d’Alice Munro attendent aussi sur ma table de chevet.
J'inscris également ce billet dans le cadre des challenges de Laure et Anne (pour leur rendre visite, un clic sur les logos).
Belle(s) lecture(s) !
Heide