Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Marie-Hélène Lafon, Les Pays, Buchet-Chastel, 2012
Roman (203 pages)
Marie-Hélène Lafon est née à Aurillac en 1962. Agrégée de Lettres classiques, elle enseigne dans un collège de zone d’éducation prioritaire. Elle a reçu le Prix Renaudot lycéen pour son premier roman Le Soir du chien, publié en 1996. (Source : Babelio)
Les Pays, son neuvième roman, a reçu deux prix : le Prix du style 2012 et le Globe de cristal 2013 du meilleur roman, décernés par des journalistes de rubriques culturelles.
L’histoire est celle de Claire, fille de paysans du Cantal, qui monte à Paris pour poursuivre des études supérieures à la Sorbonne.
« Elle n’oublie rien du monde premier et apprend la ville où elle fera sa vie.
Les Pays raconte ces années de passage. » (Quatrième de couverture)
Le roman est précédé d’une citation d’Eugène Delacroix, extraite de son Journal :
« Nous ne possédons réellement rien ; tout nous traverse. »
Et effectivement, dès le début du roman, la narratrice nous donne une idée de la configuration des lieux et de l’isolement relatif dans lequel elle a grandi : à la ferme familiale, « on n’y passe pas, on ne traverse pas, on y va par un chemin tortueux et pentu, carapaçonné de glace entre novembre et février… » (13-14) Alors, on imagine bien le grand écart qu’elle a dû accomplir pour s’adapter à la vie parisienne. Opposition de deux mondes, du pays natal à la ville d’adoption, deux univers a priori non reliés entre eux comme « […] ces noms prononcés, noms de personnes et noms de lieux qui, pour elle, depuis plus d’un an, n’avaient de place, leur place, que là-bas, de l’autre côté du monde, où elle avait commencé d’être et n’était plus, ne serait plus. » (80) Alain, le magasinier de la bibliothèque universitaire, né lui aussi dans le Cantal, lui permet pourtant « un travail muet d’ajustement, de raccord », émouvant pour la jeune provinciale.
Claire n’a pas la nostalgie « des temps révolus » où elle vivait au pays. Mais elle a en elle « une grammaire intime très indéchiffrable » (86). Hérité du passé, ce malaise avec son corps qu’elle camoufle : en effet, elle se souvient des « cuisses et du bronzage dits agricoles », objet de moqueries au collège. Alors l’achat d’un pantalon rouge, moulant, taille 36 est une véritable révolution pour elle. Cet épisode-phare du roman inaugure « ce qu’elle nommerait plus tard la leçon de corps » (75). Allusion faite également à sa première relation charnelle avec Gabriel, un trentenaire « né en Australie de parents américains et universitaires », grand voyageur, qui « ne posait pas de questions et n’en suscitait pas. » Veilleur de nuit, baroudeur, Claire apprécie de ne pas avoir à l’attendre, convaincue qu’il faut « faire sans attendre, faire mais pas attendre » dans la vie. Et elle « [jette] chaque jour ses jeunes forces dans la lutte des études qui [sont] sa guerre », sans éprouver jamais le besoin de se divertir.
Dans la dernière partie du roman, qui en comporte trois, on retrouve Claire, professeure quarantenaire « divorcée et sans enfant », une femme dont le paysage intérieur s’est modifié bien sûr avec les années, ce que nous montre le décalage entre ses habitudes de vie et celles de son père, venu lui rendre visite à Paris.
Il faut lire ce roman pour ses qualités littéraires incontestables et la beauté du style. Mais j’ai trouvé que l’écriture, presque trop travaillée, induisait malheureusement une trop grande distance entre le lecteur et les personnages. 202 pages sans un seul passage au discours direct susceptible de nous rendre les personnages plus proches et donc plus attachants ! J’ai eu le sentiment d’un bloc de mots, et j’ai pensé plus d’une fois que je n’en viendrais pas à bout. Enfin ce fut chose faite et rétrospectivement, j’en suis satisfaite comme chacun est fier de la tâche accomplie, particulièrement lorsqu’elle est ardue. Mais je n’ai pas éprouvé un grand plaisir de lecture. Un style brillant ne doit pas devenir hermétique sous peine de ne plus toucher ni émouvoir. Pour moi, c’est l’écueil que n’a pas su éviter M.-H. Lafon. Cependant, les prix reçus sont largement mérités si l’on s’en tient aux aspects purement techniques et formels de la littérature.
Roman remarqué et primé de la rentrée littéraire 2012, j’inscris donc ce billet dans le cadre des challenges de Hérisson et Laure.
Belle lecture (malgré tout) !
Heide