Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Murakami Ryû, Love & Pop, Picquier poche, 2009
Titre original : Robu & Poppu, 1996
(Roman, 223 pages)
Dans ce roman surprenant par le sujet et le style, il est question d’un phénomène de société propre au Japon : la prostitution de jeunes lycéennes, qui utilisent des messageries téléphoniques pour proposer leurs services ou choisir leurs clients. Il ne s’agit pas toujours de vendre leur corps, mais les risques sont grands de tomber sur des personnes psychologiquement perturbées voire sur des détraqués… Les propositions via ces messageries sont donc aussi hétérogènes que le profil psychique de leurs auteurs, dont les motivations sont toujours malsaines et inquiétantes.
Le 6 août 1996, après avoir passé une partie de la journée avec ses amies, Yoshii Hiromi, 16 ans, répond avec une inconscience stupéfiante à deux messages dont voici le premier : « Euh, une fille qui accepte d’aller faire des courses dans une supérette, tseu, la condition est qu’elle soit mignonne, je cherche une personne sur laquelle les hommes se retournent. Je travaille la nuit, tseu, alors pas plus tard que 22 heures. Si la fille est vraiment jolie, je donne 30 000 yens et même jusqu’à 50 000, tseu ! J’suis pas un type bizarre, si la fille est vraiment top, tseu, aucun problème pour 30 000 yens ou même 50 000. A bientôt. » (94)
A la différence de ses amies, Noda Chisa, Takamori Chieko et Yokoï Nao, c’est la toute première fois que Hiromi va participer en solitaire à une « rencontre arrangée ». Dès le début du roman, le narrateur met en avant le caractère superficiel de l’une de ses activités favorites, son « petit boulot » comme elle l’appelle : «Elle découpait dans des magazines les photos de vêtements, d’objets ou de produits de beauté qui lui plaisaient et les collait dans ce qui constituait un catalogue personnel. » (8) La futilité du désir qui la pousse à agir cet après-midi-là est proportionnelle aux risques qu’elle va prendre : elle désire absolument et sans délai s’offrir une bague, une topaze impériale, pour mettre en valeur ses jolis doigts ! Pourtant, Hiromi est aussi une jeune fille généreuse et sensible, mais son système de valeurs est déréglé. Elle éprouve des sentiments positifs, elle cherche à être juste à l'égard de ses amies, mais elle se trompe dans l’analyse de ce qui doit conduire sa vie. Comme beaucoup de jeunes filles de son âge, elle agit dans l’urgence d’un désir qu’elle ne veut pas différer : « Lorsqu’on a envie d’une chose, il faut tout faire pour l’obtenir sans tarder car les choses changent de nature après une ou deux nuits et redeviennent ordinaires. Elles le savaient très bien comme elles savaient qu’il n’existait pas une seule lycéenne capable de travailler six mois dans un Mc Donald’s pour se payer un sac Prada. » (59) Malheureusement pour Hiromi, « les rencontres ne vont pas se passer comme elle l’avait prévu. » (Quatrième de couverture)
C’est un roman à l’atmosphère très glauque, sombre et violent, surtout à la fin. On est bien loin de l’écriture envoûtante et solaire de Murakami Haruki. Je ne peux m’empêcher de les comparer car j’ai lu relativement peu d’auteurs japonais pour le moment, mais j’ai lu plusieurs romans de Murakami Haruki, de grands coups de cœur à chaque fois.
Je sais que Murakami Ryû est un auteur assez controversé. Cependant, même si je n’ai pas aimé Love and Pop, il faut reconnaître à ce roman deux qualités importantes : un intérêt documentaire par rapport à cette forme de prostitution particulière que nous ne connaissons pas, fort heureusement, en France (d'ailleurs, existe-t-elle encore, en 2013, au Japon ? Adalana pourra peut-être nous répondre) et des trouvailles de style intéressantes. Par exemple, on trouve de longs passages mêlant à la narration des textes de chansons, des discours entendus aux actualités, des souvenirs de conversations, sans rupture marquée par la ponctuation, sans préparation du lecteur, ce qui donne l’impression d’être en prise directe avec le monde tel que le voit Hiromi. De même, dans certains dialogues, l’absence de tirets aux changements d’interlocuteurs accélère le rythme de l’écriture pour signifier le flux rapide des conversations, par exemple lorsque les quatre amies passent leurs commandes au Mc Donald.
La quatrième de couverture indique que Murakami Ryû "a construit son roman à la manière d'une oeuvre d'Andy Warhol".
"La littérature n'a que faire des questions de moralité."
Murakami Ryû
J’inscris ce billet dans le cadre du Challenge Ecrivains japonais 2013 d’Adalana.
Le mois prochain, nous découvrirons ŌE Kenzaburō.
Belle lecture !
Heide