Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!
Ogawa Yôko, Parfum de glace, Actes sud, 2002
Titre original : Koritsuita Kaori, 1998
Roman traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle (302 pages)
Edition de poche : Babel chez Actes Sud
Je suis émerveillée, encore, par la richesse et la profondeur poétique de la littérature japonaise ! J’ai lu ce roman en deux jours, dans le cadre du Challenge Ecrivains japonais 2013, initié par Adalana et ce fut un très beau moment de lecture. Je crois que je n’ai pas fini d’y penser, d’y réfléchir tant je suis imprégnée de l’atmosphère onirique, légèrement mystique, de Parfum de glace, quelques heures après en avoir achevé la lecture.
Le roman s’ouvre à l’aéroport de Wien-Schwechat, en Autriche et l’on comprend que pour la narratrice, qui a quitté le Japon pour se rendre à Prague, il s’agit là d’une escale. Ses pensées vagabondes nous apprennent que son compagnon Hiroyuki s’est suicidé sur son lieu de travail en avalant de l’éthanol anhydre, un produit utilisé dans la composition des parfums. La veille de sa mort, Ryoko et Hiroyuki avait fêté la première année de leur vie commune et Hiroyuki avait offert à sa bien-aimée un parfum composé à son intention, « Source de mémoire ». Ryoko, éteinte, en état de choc, ne comprend pas le geste de son ami : « Il n’avait aucune raison de se suicider le lendemain d’une soirée aussi précieuse. […] S’il avait décidé de le faire depuis un certain temps et qu’il avait attendu d’avoir terminé le parfum pour passer à l’acte, s’il avait pensé à ne pas me donner de regrets, il aurait mieux valu qu’il ne le terminât pas. » (13) Elle ne pleure pas, ne manifeste aucune émotion.
A la morgue, Ryoko rencontre le frère de Hiroyuki, Akira. Elle ignorait son existence comme Akira ignorait la sienne. Tous deux vont découvrir qu’ils ne connaissaient pas Hiroyuki tant celui-ci avait caché d’informations le concernant. Ainsi, sur son CV que leur a remis Reiko, sa collègue, tout est faux, inventé de toutes pièces. Même sa date de naissance a été modifiée ! Un vent de mystère plane sur le jeune homme, même si Ryoko admet que « dès l’instant de [leur] rencontre, [elle] avait compris le décalage qui existait entre le monde où il était et celui où il n’était pas. » (58)
En rangeant ses affaires, Akira et Ryoko trouvent des phrases très poétiques sur une disquette. Quel sens attribuer à ces « images d’odeur mises en mots » ? Ils comprennent vite que ce ne sont pas seulement des notes de travail car « les images d’odeur sont des choses très intimes, profondément liées à la mémoire de chacun [et qu’] elles peuvent donner des indices pour connaître le cœur de Hiroyuki » (32)
« Frasil sur un lac à l’aube »
« Réserve de livres hermétiquement fermée. Poussière dans la lumière »
« Mèche de cheveux d’un défunt, formant une légère boucle »
Ces phrases très belles vont constituer une sorte de jeu de piste, qui mènera Ryoko jusqu’à Prague, à la « poursuite du spectre de Hiroyuki » (77), elle qui ne peut entamer son travail de deuil sans comprendre qui était vraiment son compagnon. Elle avance à petits pas, recomposant la vie de Hiroyuki à partir de ses découvertes successives : il était depuis l’enfance un champion de mathématiques et c’est à Prague que tout s’est arrêté. Pourquoi ?
Le gardien des paons l’aidera à comprendre le rôle de la mémoire – le thème majeur du roman - et le cœur d’un paon dans la myrrhe lui permettra d’entrer en contact avec une autre réalité, dans laquelle se trouve Hiroyuki, afin de lui délivrer son message. Cependant, l’univers du roman n’a rien de fantastique. Ryoko est simplement en train d’accepter la mort de son ami qu’elle a appris à connaître, grâce à ses recherches, mais aussi grâce à ces « passeurs d’émotions » que sont le gardien des paons et le guide tchèque Jeniack.
La sensibilité des parfums, les émotions ténues, la complicité harmonieuse de Ryoko et Akira traversent ce roman, distillant une atmosphère apaisante de bout en bout, malgré la gravité du sujet. C’est toute la force et la magie de Parfum de glace, qui nous place face à la question bouleversante de la mort sans jamais nous angoisser.
Ce qui est mis en avant, c’est plutôt d’ailleurs le mystère de la vie et la puissance du souvenir. « Ce qui vous constitue, c’est la mémoire. […] Il est mort en vous gardant dans sa mémoire », dit le gardien des paons à Ryoko.
Au Japon, puis à Prague, la jeune femme a rassemblé une à une toutes les pièces du puzzle – je n’en dirai pas plus. Dès lors, les larmes peuvent couler et la douleur s’apaiser.
Belle lecture !
Heide