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Un tour d'horizon de mes lectures, contemporaines ou classiques. De la poésie, juste pour le plaisir des mots ... De la littérature de jeunesse, au fur et à mesure de mes découvertes. Un peu de cinéma et de la BD de temps à autre ... Bienvenue ... à fleur de mots!

Sophie Krebs, Nos pleines lunes

 

Krebs nos-pleines-lunes

Sophie Krebs, Nos pleines lunes

Editions Baudelaire, 2012

Roman (152 pages)

 

Dire que ce premier roman de Sophie Krebs est une réussite serait un euphémisme. Je le savais avant même de commencer à écrire mon article, je vais avoir beaucoup de difficultés à exprimer avec suffisamment de force toute l’émotion que j’ai ressentie au cours de ma lecture de Nos pleines lunes.


Lucas et Lolita. Lolita et Lucas. Sophie Krebs nous offre un texte d’une humanité magnifique, dont la beauté est circulaire. C’est ce qui me vient en premier cette idée d’une circularité apaisante des émotions, des sentiments, qu’ils soient de peine ou d’espérance. Elle se manifeste dans les nombreuses résonnances à l’œuvre dans le roman : celles de l’amour, celles de la poésie, celles de la folie des aliénés surtout lorsqu’elle répond aux aliénations, aux frustrations intérieures de ceux qui ne sont pas fous. Comment mettre en lumière une histoire dont on ne doit surtout rien dire pour en préserver toute la magie ?

 

Dans de courts chapitres, deux voix alternent et progressivement se répondent : d’abord celle de Lucas, qui espère sa Lolita. Ensuite celle de Lolita alias Laetitia Rozière, photographe. Elle aussi elle porte Lucas au plus profond d’elle-même depuis bien longtemps. Pour le temps de Noël, à la signification si particulière pour eux, elle se prépare à exhumer pour Lucas les objets fétiches, perdus pour le présent, ces petits riens qui font une existence et peuvent aussi la défaire. Elle veut le soigner avec les images du passé. Lui aussi se prépare, avec toute l’application dont il est capable, en fabriquant ses guirlandes de mots, une commande de Lolita pour l'occasion.

 

Le temps ne semble pas couler au même rythme dans la vie de Lucas et de Lolita. L’espace intérieur des personnages commande la chronologie. L’écriture allonge le temps pour dire le lent égrènement des heures à l’hôpital psychiatrique et la perception qu’en a Lucas. Mais ses réactions donnent du rythme à cette langueur : on pleure et on rit car Lucas a la spontanéité et la fraîcheur des petits enfants  alors même qu’il est adulte, ce qui le rend si attachant. Et son langage imagé, construit, mais qui n’existe que pour lui seul, touche au plus juste -  « Je ferme les yeux pour mieux voir l’odeur. » - alors que pour les autres, les « normaux », Lucas « miaule, couine, chouine. » (89)

 

C’est une écriture d’amour et de tendresse qui montre aussi que la tristesse n’est jamais loin d’un moment de joie. Cette forme de tendresse qu’apporte l’acceptation de la souffrance nous étreint et c’est vraiment poignant ! Comment exprimer cela autrement que comme le rire et les larmes mélangés dans une douce harmonie ?


Par la fenêtre, le printemps rit.

Pourquoi s’inventer des pleurs ? » (Lolita, p.53)

 

La jovialité de la pensée de Lucas contraste aussi avec la douleur des tocs et la violence des crises de delirium aigu, des scènes non plus vécues de l’intérieur, mais rapportées avec un point de vue plus distancé. 

 

Ce sont deux êtres que la vie a malmenés, on le sent tout de suite même si l’on n’en connait pas la raison avant les derniers chapitres. Leur douleur est contenue et s’exprime de façon bien différente. Pourtant, chacun est submergé régulièrement par le langage du corps, qui somatise. C’est un roman où les mots ont le pouvoir de soigner les maux. Mots et maux intériorisés, mêlés à la petite musique de l’âme, au flux de la pensée, puis exorcisés par la force de l’amour. On découvre le lien qui unit Lucas à sa Lolita très progressivement.

Les personnages sont plus que des êtres de papier, ils s’incarnent dans leur propre voix narrative, - surtout Lucas - dans la musique des mots, le style cadencé d’une phrase qui s’enroule sur elle-même. Circularité encore.


«  Dehors il pleut des cordes. Des cordes mais sans nœuds. C’est heureux parce que moi j’aime pas les nœuds. » (Lucas, incipit)


« Il fait doux ce matin. Giroflées. Romarin. » (Lolita, page 6)


Sophie Krebs est parvenue à saisir et à retranscrire l’émotion pure et on la reçoit si fort ! Et puis, moi aussi j’ai fait un bond en arrière puisqu’au moment crucial du roman, quand tout s’éclaire et que la vérité nous saisit là, non sans stupeur, il est question à la fois de mon année de naissance et de la ville où j’ai grandi, d’une rue dans laquelle j’ai marché tous les jours de mon enfance et de mon adolescence ! Ce fut un choc supplémentaire dans l’émotion du moment. Un lien direct avec mes pleines lunes à moi et avec les  quelques trous dans mes propres poches…

 

L'interview de Sophie Krebs par Anis sur Litterama est très intéressante : ICI.


Un grand merci à ma chère Laure du blog Ma Danse du monde, qui m’a donné l’occasion d’un très beau moment de lecture. J’attends avec impatience le prochain roman de Sophie Krebs.

 

Petite biographie : "Médaillée du Conservatoire de Paris, Sophie Krebs est professeur de formation musicale depuis trente ans. Passionnée de pédagogie, elle invente en 2003 la méthode RYTMO, une méthode d'apprentissage du rythme au travers des mots. Elle publie en 2004 des recueils de pièces de musique verbale qu'elle baptise Enfantillages et crée en 2007 les jeux de société RYTMO qui obtiennent une médaille d'or au Concours Lépine International." (Quatrième de couverture)

Sophie-KrebsSophie Krebs 

Belle lecture !

 

Heide

 

Defi-PR1

 

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L
<br /> Je n'ai pas pu venir avant excuse-moi. Je suis tellement heureuse de t'avoir prêté ce livre et encore plus heureuse de voir à quel point il t'a touché ! Vraiment c'est un bonheur pour moi qui est<br /> tant aimé ce livre. Ton article est sublime et dit tout ce que j'ai pu moi aussi ressentir. Ta maîtrise des mots rend honneur à ce roman magnifique :)<br /> <br /> <br /> J'ai vraiment hâte aussi de pouvoir savourer son prochain roman. Sa force d'écriture m'impressionne et me chavire.<br /> <br /> <br /> Plein de gros bisous Heide :D ♥<br />
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H
<br /> <br /> Et c'est un bonheur de lire ton commentaire, ce que tu dis me touche énormément Laure, c'est adorable, merci beaucoup ! Je suis heureuse d'avoir pu exprimer ce que nous avons ressenti toutes les deux à la lecture de ce magnifique roman. Merci encore de me l'avoir prêté.<br /> <br /> <br /> Belle soirée à toi et de gros, gros bisous aussi ! <br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Tu as été touchée, et tu le fais bien sentir !<br />
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H
<br /> <br /> Oui, c'est vrai, cette histoire m'a bouleversée et l'écriture aussi. Merci Anne !  <br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Une écriture très poétique... Je participerai à ton thème "voyage" en philo. j'ai fait un article sur la philosophie, les femmes, et le voyage.<br />
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H
<br /> <br /> Merci Anis, je t'ajoute dans la liste des participants pour le premier lundi de juin donc. Hâte de lire ton article ! <br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> j'ai aussi beaucoup aimé ce livre, il faut dire que le thème est très "fort" et bien rendu, de l'intérieur<br />
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H
<br /> <br /> Oui voilà, l'intériorité des personnages est sublimée par la musicalité de l'écriture.<br /> <br /> <br /> <br />