Voici un court roman bouleversant sur lequel, comme moi, vous avez peut-être lu ici ou là des avis de lecteurs (lectrices...) enthousiastes.
Karine Reysset aime écrire sur la maternité : déjà dans l'Inattendue, un premier roman très remarqué lors de sa parution en 2009, l'auteure racontait, dans une sorte de journal de bord, l'attente particulière de la première grossesse, avec ses questionnements et ses découvertes, ses angoisses et ses doutes... Alors, je n'ai pas hésité une seconde lorsque j'ai reconnu, chez mon libraire, la couverture évocatrice et le titre prometteur de Comme une mère, roman que j’avais repéré sur la Toile, lors de sa sortie en poche (collection Points).
L'histoire
Il est question des destins croisés de deux femmes à un moment difficile de leur vie : Judith vient de mettre au monde un enfant mort-né et, pour elle, le sort semble s’acharner... Au même moment, dans le même hôpital, la jeune Emilie, âgée de 19 ans, se résigne à accoucher sous X. Tout s'enchaîne alors très vite : folle de chagrin, Judith enlève la petite fille prénommée Léa...
Mes impressions
Les parcours de Judith et d’Emilie m'ont touchée : Karine Reysset esquisse avec pudeur et finesse le portrait de deux femmes qui doivent faire face à une maternité douloureuse. Emilie est ancrée dans le réel, empêtrée dans les difficultés sociales (le chômage, l'absence de logement) et son courage résigné est vraiment émouvant. Quant à Judith, elle est bouleversante dans sa volonté désespérée d'effacer la perte et de reconstruire coûte que coûte le lien maternel rompu. Son attachement à la petite fille est d'autant plus fort qu'il se construit hors du temps... Le temps des responsabilités, le temps de rendre des comptes, le temps d'accepter et de pouvoir, s'il se peut, faire le deuil du premier enfant, celui qui n'est pas venu... Bien entendu, je ne dévoilerai rien du dénouement ; sachez simplement que l'émotion y est bien présente.
Cependant, si je devais émettre une petite réserve, je dirais que la brièveté du roman donne parfois l'impression que les situations ne sont qu'ébauchées. La psychologie des deux femmes est parfaitement bien cernée, mais la cohérence des événements aurait pu être renforcée par une analyse psychologique plus fouillée. Par moment, je dois reconnaître que je suis restée un tout petit peu sur ma faim…
Malgré tout, Comme une mère est un roman sensible : l’écriture rend palpable le vide de l’absence et montre à quel point la frontière entre le bonheur et le désespoir est fragile et réversible.
Un extrait
" Je voulais leur confier mon gri-gri pour qu'ils le mettent au creux de ton épaule, je n'ai pas la force de te voir une nouvelle fois, mais les portes du bureau sont closes, les équipes, en réunion. Je suis désemparée, incapable de m’arracher encore à ce lieu où tout commence, où tout finit.
Dans la chambre au bout du couloir, par la porte entrouverte, j’aperçois la jeune fille, celle de la salle de travail. Elle est endormie. Un nouveau-né repose dans un berceau à ses côtés. J’entre sur la pointe des pieds. Je ne peux m’empêcher de les regarder, elles sont belles, chacune à leur manière. Tableau touchant, désarmant, désolant. Le drap découvre le tatouage sur son épaule. C’est encore une enfant. Elle est plutôt jolie avec ses cheveux blond foncé, sa pâleur et ses lèvres boudeuses.
Le bébé est une vraie poupée, un chef-d’œuvre de la nature. Les lèvres bien roses, ourlées en un baiser imaginaire, les mains ouvertes à la caresse, un teint de porcelaine, un nez retroussé, des cheveux abondants couleur miel. Je passe furtivement la main sur son front, sa peau est si douce. » (page 32)
Bonne lecture !