Laver les ombres, ce titre ne laisse pas indifférent bien sûr. Une petite note en préface du roman précise qu'en photographie, cela signifie "mettre en lumière un visage pour en faire le portrait". Cette précision donne une idée du sujet de ce récit poignant, écrit par Jeanne Benameur - une auteure contemporaine si talentueuse qu'on ne la présente plus - et publié chez Actes sud en 2008.
Je l'ai lu dans la collection de poche Babel et comme nous sommes le 12, j'en profite pour participer au rendez-vous mensuel organisé par Denis, sur son blog Bonheur de lire, dans le but de rendre hommage à cette belle maison d'éditions et à son fondateur Hubert Nyssen. Ce mois-ci, Denis consacre son article à la collection Babel justement.
Laver les ombres m'a été offert par un ami très proche et ce fut un vrai plaisir de lecture.
L'histoire
Lea a trente-huit ans. Elle est "chorégraphe par nécessité". Parce qu'il n'existe pas pour elle d'autre alternative pour vivre et refluer la peur - quelle peur ? -, Lea danse. Elle a besoin d'ancrer son corps dans l'espace par le mouvement, pour s'élever, pour que "rien ne creuse plus la terre sous ses pieds" et que l'audace revienne. Lea est solitaire, libre aussi, mais "elle n'a pas plus de liberté que le chien perdu qui cherche un maître". Tourmentée, souvent démunie face à "cette impression de vivre avec des éclats de bombe sous la peau", elle aime Bruno, un peintre, "un homme de l'immobile" qui l'aide à se recentrer, à se retrouver vraiment. Mais la jeune femme sait qu'elle ne laissera pas sa chance à leur histoire parce qu'elle est incapable de poursuivre une relation. Lea pense confusément à sa mère à laquelle elle doit rendre visite sur sa demande. Elle se rend auprès de la vieille dame par un soir de tempête.
Mes impressions
Quelle écriture magnifique ! Les mots s'arriment les uns aux autres comme on cherche un point d'ancrage en pleine tourmente. Leur poésie véhicule parfaitement l'émotion, toujours subtile. Les phrases courtes et incisives, sur le fil du rasoir, semblent montrer parfois la difficulté même de respirer. Mais la parole se libère alors que la tempête fait rage au dehors. La parole tout à la fois vectrice d'amour, de tendresse et de colère. La parole éclairante et rédemptrice vient laver les ombres du passé ouvrant la voie à un bonheur possible. C'est toute la force de ce récit magnifique dont la trame narrative, interrompue par des "Tableaux", nous propose le portrait de deux femmes, aux destins imbriqués par le sang, dans le silence d'un lourd secret familial.
Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce court roman de 157 pages (dans la collection Babel), prix du livre Poitou-Charentes, comme j'avais aimé Les Demeurées, lu dans l'édition Folio en 2009, roman également primé (Prix Unicef 2001).
Dans les romans de Jeanne Benameur, l'espoir est une force qui ouvre vers tous les possibles. A une condition et pas des moindres !
"Apprendre à trébucher.
Intégrer le faux pas.
En faire sa danse.
Apprendre la marche imparfaite de tous ceux qui ont dans le corps un poids qui se déplace et les entraîne. Sans qu'ils y puissent rien.
Et danser avec ça."
Bonne lecture !
Jeanne Benameur