Marie Sizun, Un léger déplacement,
Arléa 1er/mille, janvier 2012
Roman 281 pages
Un léger déplacement est le 6e roman de Marie Sizun, publié chez Arléa. C’est ce que j'appellerais une « lecture-hasard », car je n’avais jamais entendu parler de Marie Sizun avant de tomber sur ce livre, au moment de sa sortie, chez mon libraire. En lisant la quatrième de couverture, j’ai fait alors le pari qu’il allait me plaire. Dans ma PAL depuis janvier 2012, je ne saurais dire ce qui m’a conduit à le sortir de la pile précisément maintenant. Mais voilà, je l’ai lu et je l’ai aimé, oui, même si j’ai mis un peu de temps avant d’être touchée par les débats intérieurs de cette femme de 60 ans.
Le roman s’ouvre sur une citation de Léon Paul Fargue (L’Autre piéton), qui donne une idée de l’atmosphère du roman :
« Au milieu du bruit et de l’agitation, du présent…
j’entends aussi au beau milieu du chœur le vacarme
fin et doux de tous les anciens souvenirs. »
« Dans l’avion, tout à l’heure, cet étrange malaise… S’est-elle vraiment évanouie ? N’était-ce qu’une brève perte de conscience ? Elle ne sait pas. Elle sait seulement que tout avait disparu pour elle, peut-être un instant, peut-être davantage… Une sorte de petite mort, un blanc, où le temps n’avait plus cours, ni l’espace. Une mort très légère, très douce, étonnamment paisible… Elle voudrait se rappeler, mais déjà le souvenir échappe, se dérobe… Elle a tout oublié, hors la certitude d’avoir éprouvé quelque chose d’inconnu, de singulier, d’infiniment précieux. » (Incipit, p. 9)
Quand survient ce malaise, Ellen se trouve dans un avion qui la ramène à Paris, sa ville natale, qu’elle a quittée trente-cinq ans plus tôt alors qu’elle s’appelait encore Hélène Leclerc. C’est « un retour inopiné » (11) pour régler la succession de Mme Zollmacher, la deuxième femme de son père, avec laquelle elle a vécu une partie de son enfance, mais qu’elle n’a plus revu depuis son départ pour les Etats-Unis. Avec le décès de sa belle-mère, l’appartement du Cherche Midi, propriété de son défunt père, lui revient désormais de droit.
Aux Etats-Unis, Ellen vit avec son mari Norman. « Chez elle, depuis son mariage, c’est New-York, c’est Manhattan, c’est l’appartement de Chelsea, au dessus de la petite librairie française à la façade gentiment tricolore, qu’ils tiennent ensemble, Norman et elle, au coin de la 28e Rue et de la 11e avenue. » (15) Leur fille est un jeune médecin qu’ils aideront peut-être à installer avec l’argent de la vente. A moins qu’ils n’agrandissent la librairie. Cet apport financier est donc une aubaine.
Mais, à Paris, le passé va ressurgir avec une telle force que les projets, le retour à New York même ne semblent plus du tout si certains dans l’esprit d’Hélène. Face à « un passé habité de secrets et hanté par un violent amour de jeunesse » (Quatrième de couverture), que décidera-t-elle ?
Quand j’ai écouté Marie Sizun présenter son roman (vidéo You tube en bas de l'article), j’ai ressenti dans la douceur et la fragilité de sa voix, toute la sensibilité du personnage d’Hélène, à un moment sans doute charnière de sa vie. Avec les souvenirs – celui du père, de la mère, de l’amoureux – ressurgissent donc de vieux fantômes, parfois volontairement refoulés. Pour avancer, pour mieux comprendre les freins inconscients de sa vie de femme, de mère, Hélène doit exhumer de sa mémoire la petite fille qu’elle fut avant le décès soudain de sa mère ; puis la jeune fille timide et introvertie, amoureuse d’un homme plus âgé, qui la vouvoyait et qui fit son éducation littéraire et culturelle avant de partir sous les drapeaux en Algérie… Et d’en revenir transformé…
Les fantômes du passé bouleversent tant Hélène qu’elle se refuse d’abord l’accès immédiat à certains souvenirs, les plus douloureux, les plus effrayants.
En rangeant l’appartement, dans les effets personnels de Mme Zollmacher, elle découvre un secret familial, qui la pousse à réexaminer ce qu’elle prenait pour la vérité. Soudain, elle prend conscience que, dans de nombreux domaines, elle n’avait rien compris. Et c’est pour elle un tel bouleversement, une telle détresse la saisit, que petit à petit, le personnage prend de l’épaisseur. Ce qui la grandit, c’est cette douleur qui soudain l’étrangle, devant l’impossibilité de dire ce qui autrefois déjà était indicible. « Cette infirmité de la parole. » (107) Hélène, à Paris, trente-cinq ans plus tard, ne sait si elle parviendra à rompre tous les silences…
Née en 1940, Marie Sizun – C’est son nom de plume ! - est agrégée de Lettres classiques et professeure de littérature, désormais à la retraite. A l’âge de 65 ans, elle a publié son premier roman Le Père de la petite (Arléa, 2005), qui a reçu le Prix Librecourt en 2008, après sa publication en poche. Son 2e roman, La Femme de l’Allemand (Arléa, 2007) a connu un grand succès (Grand Prix des lectrices de Elle 2008 et Grand Prix du Télégramme 2008).
J’aurais tendance à comparer son écriture très actuelle et ses thèmes d’inspiration aux romans de Tatiana de Rosnay, auteure du best-seller Elle s’appelait Sarah. C’est un avis très personnel, mais je pense que leur univers respectif et leurs techniques romanesques sont assez semblables.
Belle lecture !
Heide