Jours sans faim, publié en 2001 sous le pseudonyme de Lou Delvig, est le premier roman de Delphine de Vigan. Je l'ai lu dans le cadre du challenge ludique de Calypso "Un mot, des titres" et du défi "Premier roman" proposé par Anne. En faisant ce choix, je savais que je ne serais pas déçue : en effet, dans ce court mais intense récit autobiographique, Delphine de Vigan analyse la difficulté de vivre, les blessures indicibles de l’enfance, « le jeûne comme toute puissance, comme une forteresse » (page 93). Elle évoque avec justesse les journées d’hospitalisation pour attendre « simplement que le temps passe » car « il faut que le temps passe pour […] sortir de là. » (page 101)
L’histoire
« Regardez bien, mesdames et messieurs, au douzième étage de cet hôpital bientôt célèbre, s’est échoué hier soir, un squelette de trente-six kilos pour un mètre soixante-quinze. » (page 17)
Laure est anorexique. Lorsqu’elle est prise en charge dans le service de nutrition du Docteur Brunel, le froid « est entré en elle, inimaginable ». Au fur et à mesure de leurs rencontres, la jeune fille si fragile va s’accrocher à son sauveur, ce médecin fabuleux parce que simplement humain, capable de reconnaître son impuissance parfois, en gardant le silence ou en ponctuant son discours d’un « merde convaincu », mais sans jamais lâcher la main, pour que Laure entende et intègre ces paroles essentielles: « vous n’avez pas besoin de mourir pour renaître. »
Mes impressions
J’aime profondément tous les écrits de Delphine de Vigan parce que cette écrivaine contemporaine majeure a un don incroyable pour saisir, par l’écriture, l’émotion vraie. Elle suggère plus qu'elle ne dépeint les fragilités de ses personnages, ce qui les rend profondément attachants (je pense au docteur Brunel). Elle sait trouver les mots justes pour suggérer une atmosphère, un sentiment pris, empêtré parfois, dans la difficulté de l’instant et elle n’en fait jamais trop, pour laisser au lecteur la liberté de s’approprier l’histoire, son histoire, et d’y trouver éventuellement un écho personnel. C’est d’autant plus vrai que ce premier roman est largement autobiographique et que le sujet qu’elle aborde – l’anorexie, son anorexie – est susceptible de toucher, de près ou de loin, beaucoup de lecteurs. A travers l’expérience de Laure, l’auteure analyse avec beaucoup de finesse et de sensibilité les causes principales et les conséquences prévisibles de cette terrible maladie, mais il en ressort un immense espoir !
Dans Rien ne s’oppose à la nuit, paru à la rentrée 2011, Delphine de Vigan évoque de nouveau cet épisode de sa vie en le reliant plus précisément à l’histoire de sa mère. C’est un livre magnifique, intense et bouleversant dont je parlerai très bientôt.
Un extrait
« Laure déballe à ses pieds, par petits paquets compacts, cette faim de vivre qui l’a rendue malade, elle le comprend maintenant, cet appétit démesuré qui la débordait, la débraillait, ce gouffre insatiable qui la rendait si vulnérable. Elle était comme une bouche énorme, avide, prête à tout engloutir, elle voulait vivre vite, fort, elle voulait qu’on l’aime à en mourir, elle voulait remplir cette plaie de l’enfance, cette béance en elle jamais comblée.
Parce qu’il faisait d’elle une proie offerte au monde, elle avait muré ce désir dans un corps desséché, elle avait bâillonné ce désir fou de vivre, cette quête absurde, affamée, elle se privait pour contrôler en elle ce trop-plein d’âme, elle vidait son corps de ce désir indécent qui la dévorait, qu’il fallait faire taire. » (103)
Vous pourrez découvrir d'autres avis de lecteurs en consultant la page de Calypso. Et si vous ne connaissiez pas Delphine de Vigan, je vous propose de lire le billet que j'avais rédigé, en décembre 2009, sur Les Heures souterraines, un très beau roman également.
Bonne lecture !